Il y avait foule, samedi après-midi sur le parvis du théâtre de Caen, et la longue file d’attente pour entrer dans la salle avait presque un petit côté manifestation improvisée. Il faut dire que pour sa seule date en France cette année, l’accordéoniste finlandais Anti Paalanen surfait sur une attente légitime.
Programmé par l’exigeant Jean-Claude Lemenuel dans le cadre de sa programmation Musique du monde au théâtre, Anti Paalanen concentre sur sa seule personne le charme du folklore, la folie du punk-tendance heavy metal, et la fragilité d’un virtuose seul en scène devant près de 800 personnes.
Durant plus d’une heure, ce gentil ours finlandais va mener son public par le bout de nez, nous emportant tantôt dans la douce romance nostalgique pour mieux nous exploser ensuite avec ses fulgurances gorgées de kicks.
Seul en scène donc, avec son piano à bretelles et son pied droit qui va taper la mesure et nous accompagner d’un battement rythmique fleurant bon le bpm electro, il commente ( longuement) chacune de ses pièces avec cet anglais teinté du charme scandinave qui nous livre quelques anecdotes autour d’un jeune enfant passionné de guitare électrique et qui finit par se tromper en achetant un accordéon. Avec cette voix rauque ( qui n’a pas sucé que des glaçons, sans aucun doute) il apporte avec lui cette image du papy-rocker qui se moque des modes et du temps pour naviguer entre nostalgie et modernité rebelle. Si l’accordéon se prête sans aucun doute à ses ballades « scottish » aux relents de tavernes emplies de marins mal rasés, ce n’est pas là qu’Anti Paalanen est le plus bouleversant. Mais quand il délaisse pour un temps ses lignes mélodiques et qu’il emplit la salle avec de longs sanglots qui distillent une ambiance presque synthétique, là, alors, s’installe une incontestable féerie. On se retrouve entre Steve Reich et la musique ambient et l’accordéon devient la source d’une folle respiration, sur une note ou presque et la transe commence à entrer en scène. On oublie ces sonorités qu’on croyait désuètes pour entendre un instrument nouveau ou des boucles sonores qui pourraient sortir d’un synthé du diable. Le public du théâtre, souvent compassé, semble alors piqué par une sorte de danse de Saint-Guy et fait entendre et comprendre au soliste sa joie. Croyez moi, ce n’est pas tous les jours qu’on peut voir ainsi les foyers-salon du théâtre de Caen devenir ainsi l’annexe du Hellfest. Les Boréales, en parfait coucou des programmations caennaises automnales ne se sont pas trompés et ont inclus Anti Paalanen dans leur programmation 2024. Mais ne nous y trompons pas c’est bien à la fine expertise de Jean-Claude Lemenuel que nous devons cet incroyable moment de folie musical.