Au lendemain de l’événement qui devait être l’apothéose des festivités du millénaire de Caen, la tentation est forte de se précipiter sur les réseaux pour confronter ses impressions à celle de la « vox populi », histoire de savoir si on est du côté des bobos intellos, des râleurs permanents ou plus simplement du côté des… frustrés.

Tout commença donc vers 19h30, devant la mairie. La foule est là, profitant d’un soleil radieux. C’est parti pour cinq heures de… de quoi au juste? Une grosse demi-heure plus tard, une partie de la réponse se pointe du côté de l’ancienne bibliothèque avec le premier des trois chars, une grosse construction blanche, toute blanche avec des escaliers qui, si on donne dans le commentaire France Cul, n’est pas sans rappeler un édifice à la Chirico. Visiblement les circassiens qui prennent la pose ( en majesté romaine) jouent ( ça commence) sur notre frustration et le char passe, sans aucun applaudissement. Au sol, pour ce qu’on peut en voir, une petite troupe en costumes médiévalo-kitschs tente de nous plonger dans l’univers de notre grand Guillaume, la star de cette première station. Un deuxième char, vaguement végétalisé, semble hésiter entre tentation steampunk et jardin des plantes ambulant puis ce sera au tour du dernier des chars, baptisé l’Etoile, qui semble évoquer l’intérieur cosy d’un immeuble des années 50 avec son incontournable ménagère et sa tête couverte de rouleaux, why not. En guise de parade c’est à peu près tout si on ajoute deux géantes qui ne sont pas sans évoquer des princesses Walt Disney gonflées aux hormones. Re why not et toujours pas d’applaudissements de la foule qui assiste, un peu médusée ( aha comme la méduse improbable du deuxième char) à cette procession un peu au rabais. Qu’à cela ne tienne, on attend la venue du premier géant et au loin, très au loin, on voit apparaître la figure débonnaire du…géant ! Un petit tour sur le parvis de la mairie, sans musique originale, sans textes ni commentaires : au public de se faire son film même si ça commence sérieusement à ressembler à un remake d’Alain Resnais, version « tu n’as rien vu à Hiroshima ».

Depuis des jours on nous avait prévenu que nous ne pourrions pas tout voir. Notre demande « pulsionnelle » de plaisir, insatisfaite, devenait le nerf même d’un processus créatif qui entendait « relire » ( comme dans Top Chef ?) la bonne vieille parade qui pourtant avait connu ses heures de gloire et de liesse populaire durant les festivités d’À Caen la paix, au mitan des années 90. Plutôt qu’un bon vieux défilé qui a fait ses preuves depuis des millénaires ( re ahah) on nous proposait des « segments » et des « stations », une sorte de cocktail new age entre Éclats de rue et À Caen la paix. Pari risqué et en partie gagné ou perdu si l’on en croit les nombreux commentaires sur les réseaux oú dominent les reproches d’attente interminable et le manque de visibilité, en particulier place de la Mare. Il fallait littéralement être au tout premier rang de la petite place pour espérer profiter de cette bataille de peinture, rouge, bleu, jaune expulsée sur des draps blancs, entre Jackson Pollock et Yves Klein ( tendance Hiroshima ?) pour une lecture intello-friendly, ou tendance spectacle de rue prétentieux pour les râleurs ( toujours eux !).  Entre temps, le public, très nombreux, se la joue un peu « Français révolutionnaires » et se précipite pour tenter de rejoindre les autres stations, au mépris des consignes … sacrés Français ! Inutile de monter le Gaillon, c’est noir de monde, et nouvelle frustration, je ne verrai pas Pom ( je me sentais pourtant son pote, jeu de mots lamentable). C’était pourtant la mascotte de la parade…

Repli stratégique donc vers le port, histoire de ne pas rater le feu d’artifice et de constater que les bistrots font le plein de …. bière et de commérages plus ou moins assassins sur cette parade qui peine à faire comprendre son message et plus encore son évocation des mille ans de Caen. Cave Caenem oblige, je suis ravi de voir que Julien Lefrançois ( aka Kipersonus) est un des rares artistes réellement caennais à se produire ce soir, si on oublie le duo du Ballon vert ( concepteur de la Parade) et dans une moindre mesure Sébastien Daucé. Pour « habiller » les très très longues minutes avant le bouquet final, Kipersonus installe un délicat brouillard musical d’où émergent les propos plus ou moins poétiques d’une jeunesse invitée à imaginer notre futur dans mille ans. J’ai retenu ce cocasse : « Il n’y aura plus que des réponses… » qui résonnait assez cruellement parmi cette foule qui ne cessait de se demander quand ça allait enfin commencer ou qui, pétrie de questionnements philosophico-budgetaires se lançait dans de fines dialectiques entre les deux millions de budget pour cette parade à … trois chars et le lien avec le millénaire. Les Caennais sont parfois de redoutables Socrate ! Il faut dire que les rêveries « gourmandes, généreuses et gargantuesques », selon la conceptrice de la parade se sont parfois heurtées au prosaïsme de la commande officielle et de sa réponse qui ne l’était pas moins mais ce sont là les aléas des artistes de cour. Entre les commanditaires de l’événement ( la mairie et son désir de créer « ex nihilo » un millénaire)  et des artistes ambitieux mais peu rompus à gérer le « panem et circenses » dans sa version  XXL, il pouvait y avoir quelques quiproquos…

Heureusement, après nos petites frustrations gérées avec plus ou moins de bienveillance, venait enfin le tant attendu feu d’artifice, un subtil mélange entre la modernité des drones et la millénaire féerie chinoise des feux d’artifice. Installé depuis plus de deux heures aux premières loges ( juste en face du Pavillon) j’ai pu profiter pleinement du spectacle parfois gâché par les « pépins » d’un système son qui ne rendait pas nécessairement justice au beau travail de Kipersonus qui signait un habile concerto moderne ponctuant avec élégance la magie des images. Un grand M majuscule ( millénaire ou docteur Mabuse ?) éclate dans le ciel et c’est parti pour un gros quart d’heure de grand, très grand spectacle. Pour ma part, je préfère rester sur ces images finales tout en oubliant assez vite le reste, non sans regarder une dernière fois les trois chars qui, dans la nuit, prennent subitement une dimension poétique que la lumière crue du soleil leur avait refusé. Peut-être qu’en commençant plus tard, à la nuit tombée, et en assumant avec plus d’enthousiasme la logique de la parade à l’ancienne, le travail sincère mais trop ambitieux d’Amélie Clément ne se serait pas conclu sur des notes en demi-teinte ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *