C’est donc au festival Interstice de clore cette année « millénaire » caennaise, ce qui explique le calendrier inédit de cette édition. Habituellement, depuis des années, c’est avec l’arrivée du printemps et des beaux jours qu’on découvre les propositions « inclassables » de ce festival consacré aux arts visuels, sonores et numériques.
En décembre, dans une ville éclaboussée d’éclairages plus ou moins festifs, les œuvres proposées entrent donc en concurrence avec une animation lumineuse ( place saint-Sauveur ou République) qui ne démérite pas forcément, c’est un peu la « magie de Noël » à tous les étages et cette petite surenchère visuelle nous oblige, plus que jamais, à traquer ou débusquer …l’art ou le simple artisanat technique.
Entre synthèse et renouveau ?
Millénaire oblige, Interstice nous gâte avec un double parcours artistique, de jour ( de 14h à 18h) et de nuit ( de 17h à 21h) et ce à travers les lieux historiques du festival ( église Saint-Sauveur et Saint-Nicolas, Esam, Dôme…) auxquels il convient d’ajouter quelques espaces inédits comme le quartier Lorge. Fidèle au poste et plus curieux que jamais, j’ai pu découvrir, en cette journée d’ouverture du 4 décembre, une grosse partie du parcours nuit, confirmant ainsi l’heureux mariage entre la nuit et certaines œuvres. Saint-Nicolas, par exemple, avec l’installation Ataraxie ( collectif Coin et Maxime Houot) devient un écrin sublime pour une proposition spectaculaire, hollywoodienne même ! L’immense nef de l’église, balayée par les lasers rouges installés au bout des 15 bras mécaniques, devient alors un espace hypnotique qui en serait presque intimidant tant la puissance des images créées, avec une bande-son que ne renierait pas Dark Vador, est forte. Le titre de l’oeuvre ( Ataraxie) n’en est que plus provoquant tant la puissance de l’installation nous oppresse par sa beauté implacable et presque intimidante…. Sans aucun doute, les organisateurs tiennent là un des temps forts du festival avec peut-être le risque d’une sidération esthétique annihilant tout esprit critique.
Traditionnellement, un autre lieu du festival ( l’église Saint-Sauveur) concentre l’effet Wouah qui, mine de rien, légitime aussi l’existence d’Interstice. C’est donc Herman Kolgen et son installation Isotopp qui se « colle » à cet exercice et ce avec le retour ( revisité) d’une proposition présentée en 2018 lors d’une mémorable performance live au Cargö. Dans une contemplation plus sereine et plus intime, la force du travail de Kolgen éclate sous un éclairage différent et le bombardement atomique qu’il nous donne à voir, s’il perd un peu en théâtralité brute, renforce en revanche la dimension poétique de sa démonstration.
Toujours dans ce parcours nuit, et un peu dans le même secteur, passage vers le studio 24 ( l’ancien Panta théâtre repris en gestion directe par la ville et dont on peine encore à comprendre le projet).
Le titre de l’installation : Résurgences mnémosynes, à lui seul, fonctionne un peu, dans ma tête, comme un signal… prise de tête, une impression hélas confirmée par ces deux écrans qui dialoguent entre eux autour d’images ( d’archives, certes, mais de quelle mémoire?). Entre les deux écrans, sur le plateau du théâtre, une table basse en mode coffret technique, regorge de fils blancs ( pas de fashion-faux-pas!) sans que l’on puisse réellement comprendre ou saisir les interactions entre tous ces messages (images, lumières, sons). De cet amas de signes émergent des phrases à haute valeur poétique ajoutée comme ce « murmuration des oiseaux » non sans charme si l’on prend la peine de se rappeler que ce mot, très soutenu, désigne le groupe d’oiseaux qui se rassemblent en vol… Il en va de certaines propositions comme des rencontres amoureuses, certaines sont plus fortes que d’autres.
Quelques mètres plus loin, du côté des Écuries ( quartier Lorge) on se retrouve au QG d’interstice, là où se trouvent les bureaux du festival et deux nouvelles salles investies pour l’occasion. Cette année le festival a produit certaines des œuvres proposées et parmi elles Myriades de Justine Emard. Des sabliers, aux principes d’écoulement subtilement travaillés, tournent et donnent à voir … l’écoulement du temps. Les informations fournies dans les brochures du festival sont ici indispensables pour entrer en résonance avec le processus de création de l’artiste. Il y est question de particules magnétiques, de plage du débarquement et de tout un appareil théorique que l’installation tente de nous rendre sensible. J’avoue que ce qui m’a toujours passionné dans les propositions d’Interstice réside essentiellement dans l’évidence même des rencontres entre les éléments simples ( l’eau, le feu, la terre, la lumière, le son…) et l’utilisation poétique et simple à la fois que peuvent en faire les artistes. Le charme opère dans une sorte d’empathie immédiate mais il perd un peu de sa force et de sa pertinence s’il doit être accompagné d’un livret … Dans la salle attenante, je retrouve avec bonheur cette attente avec l’installation Hydroscope d’Alexis Choplain. De l’eau, de la lumière et wouah, ça marche ! L’enfant que je tente encore d’être un peu est émerveillé par ces ondes liquides qui coulent…horizontalement et qui, dans une chorégraphie aussi gracieuse qu’incertaine se “clashent” sur un disque. Si je veux en savoir plus, je peux mais l’évidence fascinante du dispositif, le “shoot” poétique suffisent à satisfaire mes yeux et ma tête.
La nuit s’installe et il est temps de me rendre à L’Esam pour l’inauguration officielle du festival qui, millénaire oblige, prendra ce soir-là, un aspect “pince-fesses” à la fois très sérieux et un peu compassé. Fort heureusement, l’esprit Interstice reprend vite le dessus avec la première des soirées “performance”, gratuite comme toutes les autres manifestations, faut-il le redire. Dans la salle de l’Esam, remplie comme jamais, François Delamarre vient présenter Modema Cycles, un mini-concert qui mêle, sans grande originalité mais avec efficacité, la musique d’un synthé modulaire tandis qu’un rayon lumineux vient frapper un verre ( de Meisenthal, s’il vous plaît. Les capteurs photosensibles transforment en modulations sonores les reflets du verre pour être ensuite injectées dans le synthé. C’est planant et “shoegaze” à souhait au début et puis quand le kick electro s’installe, et monte, monte, monte en bpm, on viendrait presque à vouloir bouger nos petites gambettes respectueusement muselées par cette sage proposition…académique. En même temps, ce principe créatif du son manipulé et façonné sous nos yeux reste un incontournable des soirées Interstice. Cette édition semble bine hésiter entre une volonté (réussie) de synthèse, histoire de condenser l’esprit originel du festival et esquisser certaines pistes de renouveau, vers une tentation plus conceptuelle ?
Pour finir cette première nuit Interstice, il fallait se rendre au Pavillon et découvrir le bel espace festif imaginé par le collectif Manoeuvre. On entre dans ce lieu comme dans le plus chic et le plus branché des clubs ( hélas temporaire). Tout invite à la détente, à la musique, aux discussions passionnées ou mondaines, bref durant quinze jours ce Pavillon résume à lui tout seul ce qui nous manque le plus : un lieu hédoniste, épuré et élégant pour écouter de la bonne musique. Dernière performance de la soirée,au pavillon, celle de Stéphane Kozik ( Roboscope) où l’on retrouve, avec un laser cette fois, le même principe d’une image déformée, magnifiée par le choc du rayon laser sur des vases et des carafes échappés d’un rayon abandonné d’Emmaus. Le résultat est délicat, très chill et cadre parfaitement avec l’atmosphère de ce pavillon…revisité.
Il me tarde de découvrir le parcours jour mais je vais devoir attendre un peu, samedi et dimanche,avec d’autres médiateurs, j’accueille le public à Saint-Nicolas, à suivre donc…
