Les puissants, on aime les accabler en privé, et parfois on s’y confronte ouvertement. Ma relation au Cargö est complexe, comme un vieil amour contrarié, mais avec ce beau et nécessaire regain de flamme, hier soir, je ne peux que m’incliner, sincèrement. Mon billet sur cette  première grosse soirée NDK sur la presqu’île peut bien créer de la confusion, voire de l’incompréhension mais, pardon… j’ai kiffé !

Autant l’avouer, je ne suis pas parvenu à me défaire tout de suite de mes vieux  réflexes d’inspecteur général : traquer, là, le manque d’affichages du line-up, persifler sur une décoration en papier alu, bailler devant l’évidence d’un Magic mirror…

C’était pourtant oublier combien un décor de théâtre, un maquillage de scène n’est pas fait pour être vu de plein jour. À 22H, même si les acteurs sont en place et que le public commence à venir, la magie d’une soirée réussie reste un pari.

Pour cette quatrième édition à la maison ( le Cargö), les organisateurs ont repris, en la développant, la recette de NDK2. On circule, un peu comme chez soi, partout : par les coulisses arrière de la grande scène, par l’entrée principale et heureuse précaution, même pour une nuit étoilée, le parvis est généreusement recouvert d’une immense toile. L’effet “cocon” fonctionne à plein, installant immédiatement le public dans une sorte de déambulation joyeuse ( et facile) entre les trois scènes. Un des plaisirs inédits de cette soirée ( et ce n’est pas le moindre) c’est d’être parvenu à danser et à goûter la musique toute la nuit sans jamais m’être retrouvé au milieu d’un couloir ou d’être plus ou moins constamment bousculé, safe, secure and happy !

La déco, justement, semblait me narguer, et je me suis pris à persifler médiocrement sur ces colonnes ( carrées) qui tombent des cintres d’une grande salle sponsorisée par Albal ? Du papier alu partout, autour des colonnes, autour des pupitres, comme si l’ensemble était recouvert d’une nécessaire couverture de survie. Au fil de la soirée ( et dois-je l’avouer sans l’aide trompeuse de pilules magiques) le côté “cheap” et un peu MJC en fête s’efface quand, des colonnes, sortent des tubes néons qui, magiquement, donnent une cohérence esthétique à l’ensemble, dans une belle symétrie. J’avoue, là encore, avoir un peu pesté trop rapidement contre cette scène qui déborde dans la salle et qui pouvait rendre la circulation et la piste de danse encore plus discutable, mais je n’avais pas encore goûté au plaisir de sortir ( ou d’entrer) par la sortie Cour ou, mieux encore, à celui de passer à travers un tunnel improbable qui permettait non seulement de voir la scène de derrière mais qui nous faisait traverser la grande salle en dix secondes là où habituellement, en plein milieu de la nuit, on pouvait y perdre cinq minutes et risquer la douche d’une bière…volante.

Côté club, un voile-parachute nous sert de dôme, à nous, danseurs tandis que derrière la petite scène, un cyclorama en demi-cercle encadre les artistes. Sur le papier, c’est basique mais quand, dans une chorégraphie très Halloween-friendly, le voile-parachute se met à onduler, descendre et monter avec la douce et belle lenteur d’une caresse hésitante, on est pris par l’évidence de la proposition.

Pour finir, un Magic mirror tient lieu de troisième salle. Des jeunes ( forcément des jeunes puisque je suis le …vieux) découvrent avec une sorte de féérie dans les yeux cette  installation d’un autre siècle. En Belgique et dans notre Nord les Magic Mirrors étaient les Cargö mobiles de nos grands-parents,et celui de la chorégraphe Karine Saporta installée à demeure à Ouistreham nous le rappelle. Dans cette salle improvisée, sur un bon vieux plancher en bois, on laisse faire la magie naturelle du lieu, pas de décor, rien, tout est dans son “jus” historique et près de cent ans après, le charme opère sur une nouvelle génération.

Carton plein pour le flacon, restait à savoir si la programmation nous apporte l’ivresse( légale) musicale.

Trois lieux et trois occasions de se disperser, c’est toujours le  conflit cornélien du petit festivalier. Quitter Greeds et sa très convaincante démonstration ( de force) au risque de passer à côté de la petite révélation des Jeux olympiques, Tatiana Jane ? Se découvrir à apprécier les audacieuses invitations “coupé-décalé” de King Doudou et en oublier ( presque) les uppercuts “raveurs” de KI/KI ( dans un set tout de même un peu trop formaté) ?  Ecouter ( en passant) les notes glamour et délicates de Sugar Free au risque de perdre l’intro diaboliquement minimale de Teki Latex avec son efficacité maximale…

Au fil de ces heures qui sont passées à la vitesse d’un stimulant tour de manège, j’ai fini par abandonner toute forme de rationalité critique à mon parcours, j’étais (re)devenu ce jeune novice qui se fait sa première soirée electro. Débarrassé de toutes références historiques et comme sur une page blanche, je me suis fait délicieusement avoir par ce généreux et habile esprit “club” qui flottait dans l’air. Au risque, encore une fois, de faire grincer des dents, je ne peux passer sous silence la belle cohérence d’une programmation qui, certes, ne faisait pas forcément rêver sur le papier mais qui, une fois sur place, m’aura permis d’entendre ( et de découvrir) des artistes qui auront eu à coeur de nous embarquer dans leurs folies et surtout dans leur art.

Avant son set, je croise Mac Declos, ce “petit prince” que je me flatte un peu d’avoir suivi ( et encensé) dès ses premières heures. On papote avec cette camaraderie de la nuit et une ancienne élève m’interpelle et me dit …qu’elle mixe jeudi soir au Portobello ! Et je suis trop heureux, heureux d’être encore là, heureux de ne pas être aigri et fatigué après des années de clubbing, heureux de contribuer un peu à ce dialogue inter-générationnel, heureux de penser ( et d’écrire) ce mea culpa envers le Cargö sans même en rougir, et plus encore fasciné par la maîtrise technique de Mac Declos dans son mix. Il ose tout, des silences qui sonneraient presque comme des pains techniques s’ils ne devenaient pas des tremplins pour une nouvelle bombe musicale, il ose les détours samba qui vous propulsent dans une backroom berlinoise, il ose des voix soul qui commencent comme une caresse et vous claquent entre les oreilles. Le petit prince a bien grandi et s’il m’accorde le plaisir vain de savoir que j’avais le nez creux il y a près de huit ans, il vient surtout me rappeler que c’est pour des moments comme les siens que je suis encore là.

Alors, pour un temps, je dépose mes armes caustiques ou critiques et je dis à celles et ceux qui boudent encore : il faut toujours donner sa chance au produit !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *