Faire du neuf avec du vieux, Shakespeare dans la nouvelle salle de la Comédie de Caen

Hier, le (petit) monde local de la politique et de la culture s’était donné rendez-vous au 32, rue des Cordes pour l’inauguration officielle de la nouvelle salle caennaise gérée par la Comédie de Caen. Après quelques retards, des péripéties et la crise sanitaire, on pouvait donc enfin découvrir ce “nouveau” rue des Cordes, dans sa troisième version historique.

17h, les “officiels” arrivent et avec eux, la petite comédie sociale du pince-fesse, des discours plus ou moins convenus, des salutations, plus ou moins franches et le concours officieux de la tenue la plus audacieuse, bref un délicieux épisode de notre vie culturelle, même si on n’ouvre tout de même pas un théâtre à chaque début de saison…

In memoriam … Michel Dubois

Passage espéré et attendu, ce fut aussi l’occasion d’évoquer la mémoire de Michel Dubois, disparu en juillet dernier, l’occasion pour son acteur fétiche, Jean-Marie Frin, d’un discours à bonne distance entre émotions et souvenirs et, pour Claude Alexis, autre figure historique de la troupe de Michel Dubois, d’un court mais tonique rappel quant aux angoisses des cordes pour les marins et les gens de théâtre. 

Shakespeare, encore et toujours ….

L’excellente idée pour cette inauguration fut de proposer la re-création d’une pièce qui avait marqué la mémoire des amateurs de théâtre, Un Richard III qui, en 1995, nous faisait découvrir un jeune comédien argentin dans le rôle-titre, un certain… Marcial Di Fonzo Bo.

En 1995, quand le metteur en scène allemand Matthias Langhoff présente ce spectacle au festival d’Avignon, c’est avec ce titre étrange : Gloucester Time, matériau Shakespeare/ Richard III, une façon d’annoncer la couleur, celle d’un spectacle “punk” en diable, un condensé splendide de son art, forain, poétique et irrévérencieux. A l’époque, et je m’en souviens, on pouvait entendre le texte dans la traduction de Jean-Michel Deprats.

Près de trente ans plus tard, c’est presque une entreprise muséographique qui nous est proposée puisqu’il s’agit ( c’est suffisamment rare au théâtre pour le souligner) de reprendre cette mise en scène pour tenter d’en rendre perceptible la radicale insolence initiale. 

Richard III a vieilli, je parle ici du personnage, ou plutôt de son incarnation scénique. C’est toujours le même acteur ( M. Di Fonzo Bo) mais avec le poids de l’âge, et le maniérisme inhérent à tout acteur qui a peaufiné son art. Ce qu’on perd en grâce juvénile, on le gagne en épuisement grave, cet épuisement d’un homme encore et toujours obsédé par sa vaine et fatale conquête du trône. Le Richard III qu’il nous dévoile hésite constamment entre une profération presque robotique et le murmure de l’inavouable. Peut-être aussi, dans une étrange schizophrénie verbale, hésite t-il entre la lointaine plainte, plus triviale, du texte de Deprats (utilisé en 95) et celle, plus maniérée, de la nouvelle traduction d’Olivier Cadiot, la seule véritable transgression à cette belle et fidèle reconstitution.

La nouvelle salle du 32, rue des Cordes devient enfin l’espace idéal pour donner toute sa respiration au souffle du tyran shakespearien. De plain-pied avec l’accueil, elle est plus large, plus haute et peut enfin accueillir dignement ce théâtre épique et le décor qu’il impose.

Parlons-en de ce décor ! Comme toujours avec Langhoff, il s’agit d’une formidable machine à jouer et s’il est signé Catherine Rankl, on sent bien que dans les deux versions ( très proches) on retrouve ces divers espaces qui, tel un Rubik’s cube de bric et de broc, de bois et de métal, font jaillir par une machinerie dévoilée les divers lieux du drame. Rien que pour voir une telle intelligence du plateau, un décor aussi complexe  et pourtant  si simplement évident, il faut se précipiter et voir cette “somme “ d’intelligence dramaturgique.  

Dans ce “Game of Throne” version 1592, on ne comprend pas tout, et franchement, ce n’est pas grave. Seuls quelques férus d’histoire anglaise sauront y retrouver leur latin et ce n’est pas tant la chute du dernier roi d’Angleterre de la maison d’York qui nous est montré que l’ivresse du pouvoir, l’obséquiosité ou l’inconséquence de ceux qui le servent et les victimes collatérales qui emplissent les tiroirs et les cercueils….

On retrouve le joyeux “bordel” de 1995, cette troupe d’acteurs et d’actrices ( avec, en 2021, une belle mais étrange musique italo-espagnole dans les voix) qui gravitent autour de Richard III, et, last but not the least … Frédérique Loliée, présente déjà dans la version “historique”. Reine Margaret “torchée” au gros rouge qui tâche ( toute ressemblance avec la famille royale actuelle n’est pas …fortuite ou involontaire), elle apparaît, telle une Florence Foresti qui aurait enfin l’épaisseur d’un personnage et insuffle, à chacune de ses apparitions une folie grave et saisissante qui résume, à elle seule, toute la force de cette entreprise.

Un vieux théâtre donc, qu’on remet à neuf, et qui n’a rien perdu de sa fragile dimension de “fortune”, un vieux texte aussi, qu’une belle audace remet en lumière, un vieux spectacle qui est sur le point d’échapper au corsetage ( compréhensible un soir de première et d’inauguration) de la simple reconstitution, ce sont là les ingrédients antiques et millénaires de la magie du théâtre. Si vous voulez voir du grand, du beau, de l’énoooorme théâtre, si vous voulez tout simplement découvrir  la puissance de ce qu’est cette folle machine qu’on nomme théâtre, il faut absolument se rendre au 32, rue des Cordes. C’est une leçon de vie, une leçon de théâtre. Merci, monsieur Langhoff, merci la Comédie de Caen pour ce nécessaire souffle épique …..

One Reply to “Enfin du théâtre ….”

  1. Oui, une vraie et belle dramaturgie, surtout un magnifique décor qui se voit, qui s’entend, et qui “bat” autant que les acteurs qui balbutient ou bafouillent par moments, mais qu’importe. C’est l’immonde propos qui regrette l’infini de l’infinie transgression. J’ai été émue plus par la machine volontairement archaÏque remplie des tous ces corps et matériaux.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *