Du “bobo-chic” à la techno-choc.
Jeudi soir, quelques heures après les nouvelles annonces sanitaires, il est encore temps de profiter de l’ancien monde ( qui n’a pourtant que quelques petites semaines d’existence). C’est donc une sorte de veillée d’armes que nous propose la Fée couinée avec la présentation d’un showcase dans le cadre, toujours merveilleux, de l’église Saint-Sauveur. Ce petit événement, à la mondanité toute caennaise, est co-produit par Lilies’ Créatures, qui avait, il y a deux ans, c’est à dire un siècle, investi le même lieu pour une soirée fondatrice ( voir Cave Caenem).
Au programme de cette soirée, en pièce maîtresse, on découvre Bison chic, précédé d’ Atheba, deux noms qui, s’ils ne vous évoquent rien, entendent bien se servir de cette présentation pour s’inscrire dans le paysage musical local.
La petite église est très finement aménagée. On accède à la salle par la porte de service, et après les désormais habituels contrôles sanitaires, on enlève le haut, c’est à dire le masque. L’espace scénique est délimité par un cercle de rampes lumineuses et une accumulation de tapis chinés dans les meilleures brocantes, tandis qu’à jardin un petit bar tenu par l’équipe de l’Aqueerium rempli son office. C’est chic et de bon-goût, comme on disait autrefois et si l’on ajoute à cela un écran, au fond, on obtient un espace cosy à souhait qui offrira un écrin parfait pour la soirée.
C’est le chanteur Atheba qui « chauffe » la salle, seul tout d’abord puis accompagné de deux musiciens. Au menu, de tendres et parfois naïves confessions intimes où domine un « je » omniprésent dans toutes ses chansons-ballades. La voix se pose enfin, avec une assurance qu’on sent encore un peu délicate, mais c’est là une de ses toutes premières prestations publiques. Une voix sonorisée avec force et talent et qui laisse échapper, en français, les attendrissantes plaintes d’un amoureux de la vie et d’une femme, les tendres nostalgies d’un homme de son siècle débarrassé de toute arrogance virile. Les épanchements langoureux d’un saxophone apportent cette touche glamour de bon aloi et viennent finaliser une première partie délicate mais qu’on sent encore fragile dans son expression scénique.
Le clou de la soirée sera la venue de Bison chic. Enfant de son siècle et du confinement, Bison chic distille une electro french-pop autour de la voix de son chanteur Alex qui, pour l’occasion, aura choisi de se présenter à nous en …chaussettes ! Cela peut sembler anecdotique de s’arrêter ainsi sur ce détail vestimentaire mais il m’a semblé que c’était là une sorte de métaphore visible de l’univers de Bison chic, avec des chansons ( elles aussi en français et rien que pour cela, merci ) qui évoquent encore et toujours cette génération tiraillée entre la tentation d’un cocooning sentimental et celle d’un envol dans la vraie vie adulte. À cet égard une chanson, Mes Parents, illustre cet esprit, cet air du temps musical qui, comme un doudou ou un bon gros pull irlandais, cajole et réconforte. Sur ce « créneau » là, il y a déjà du linge, et du beau linge, Feu ! Chatterton en tête dont les notes résonnaient en début de soirée, mais Bison Chic ( et bohème ?) apporte, vers la fin une touche « progressive » en lorgnant vers des longues échappées purement musicales du meilleur effet. Une soirée sans faute de goût donc, chic à souhait, mais aussi sans aspérités réelles, donnant à l’ensemble une évidente preuve d’un artisanat rondement maîtrisé mais où l’on cherche encore une rage poétique et politique qui ne demande peut-être qu’à s’affirmer.
Impløsion, une promesse tenue ?
Samedi soir, il fallait se rendre au bout de la rue de Falaise pour profiter de la soirée Impløsion imaginée par le collectif OIZ. Direction donc la salle d’O, pour l’occasion transformée en dancefloor techno.
On ne dira jamais assez les efforts incroyables des collectifs pour faire vivre cette musique et donner vie à des lieux sans âme et en matière d’énergie il en fallait pour faire de cette salle blanche et froide un écrin digne d’accueillir les amateurs du genre. Pour transformer cette énorme « baignoire » une belle guirlande de projecteurs-lyre encadre efficacement l’espace public et la scène, sobre à souhait se referme sur l’inévitable écran. C’est une belle prouesse technique en soi que d’arriver à donner un peu d’âme à ce lieu et si l’on ajoute à cela la très bonne sonorisation d’un lieu carrelé, on ne peut que saluer le professionnalisme technique de OIZ.
Comme on pouvait s’y attendre, le masque est plus ou moins de la partie, mais la maréchaussée rôde et on se plie aux consignes d’usage pour cette première nuit masquée !
Comme pour tout événement de qualité, on a droit à quelques stands connexes, du maquillage body-painting assuré par Léo V-K affublé d’une belle guirlande de Noël dans sa toison viking, au stand de prévention très bien documenté. Tout est donc là pour assurer une soirée « pro », reste à attendre un public qui doit, dans l’ordre, trouver ce lieu à peine fléché dans nos nuits musicales, affronter la tempête, accepter les nouvelles consignes sanitaires et enfin la crise GHB.
Rappelons une fois encore que l’organisation, pour notre plaisir, d’un tel événement, est une prise de risque financière énorme pour des associations à la santé économique fragile. Une fréquentation à la baisse et une location de salle exorbitante est c’est le bouillon assuré ! Je ne sais pas quelles sont les estimations économiques de cette Implosion mais espérons que la fréquentation ( à vue de nez entre deux cents et trois cents personnes) aura permis de sauver les meubles mais se pose plus que jamais la question des lieux pour cette musique !
Pour ouvrir les hostilités Skinzag en tandem avec Peck. Ce dernier, membre du collectif organisateur ( OIZ) fonctionne parfaitement bien avec un échappé du collectif Senary, et on ne peut qu’apprécier cette « association » amicale entre deux collectifs. Le ton est donné d’emblée avec un son qui se cherche encore un peu entre tentations exotiques ( mais toujours sur fond de boum-boum implacable) et dérive disco survitaminé ou ce trop discutable The age of love dans sa version « vulgos » de Charlotte de Witte. Le dialogue musical, parfois un peu brouillon reste enjoué et ce sera la marque de fabrique de toute la soirée où je prendrai un plaisir certain à retrouver cette ambiance décomplexée portée par des duos complices qui, au détriment d’une rigueur technique, préfèreront faire sauter la banque en se faisant plaisir, tout en ne perdant jamais de vue l’écoute et l’attente du public. On est loin des soirées formatées où la seule prise de risque consiste à diffuser des tunnels d’évidence et de bienséance. C’est un peu l’école des fans dans sa version nawak, une impression confirmée par le duo suivant, Æven et Koad.
L’univers musical se rétrécit un peu au profit d’une ligne sonore qui s’assume dans sa rigoureuse quête de la mort d’un kick qui tue. On en oublie de plus en plus la pâleur de salle d’autopsie de cette morgue sans âme et c’est bien la fête dans toute sa précieuse énergie qui s’installe, et qui ne quittera jamais les lieux. Le public est conquis ( d’avance ?) et si l’on retrouve certains des oiseaux de cette volière de la nuit caennaise on est heureux aussi de voir que de plus jeunes clubbers rejoignent la party et qu’ils possèdent déjà les codes de ce genre de soirée.
Avec le duo Vertuøze et Onelas ( toujours cette hybridation réussie entre OIZ et Senary) on pousse encore un peu plus loin les « potards » de l’insolence stylistique, il faut dire que les deux complices y sont poussés par une salle de plus en plus joueuse et joyeuse et qui semble vouloir dire à la pâle froideur des soirées à venir : Même pas peur ! Cette jubilation est communicative et c’est le cœur léger que je repars avec, en plus, l’espoir de discussions stratégiques à venir entre différentes associations pour tenter de sauver le soldat « electro » caennais. Que demander de plus ?