100 % live, 100 techno, 100 % Camino !
Hier soir, direction la cave du Camino et retour vers un bar que j’avais un peu délaissé. Les habitués du Camino sont toujours là, ça joue aux fléchettes, ça bouchonne parfois devant le bar et par une nuit pluvieuse, ça grenouille fort sur le trottoir, sous le modeste espace couvert.
Pour être honnête, depuis la crise sanitaire, il est assez difficile de suivre (et de comprendre) les diverses politiques d’animation musicales de “rades” caennais, on ne peut donc qu’être heureusement surpris de voir que deux semaines de suite le Camino résonne “boum boum”.
La semaine dernière il accueillait la nouvelle mouture des Ragondingues, à savoir Adventice Family et hier soir un des deux événements estampillés Mad Brains de la soirée : 100 % live, 100 % Techno.
Deux événements Mad Brains le même jour, le moins que l’on puisse dire c’est que ce collectif ne craint pas la concurrence interne et qu’il entend bien construire sa nouvelle dynamique à partir de cette fusion avec Solar family.
C’est bien la “branche” Solar family qui est à l’honneur dans la proposition du Camino, une proposition Techno ( c’est dans le titre même de l’annonce) et mieux encore une promesse 100 % live.
La cave noire du Camino se révèle dans toute sa sobriété vers 21h, avec quelques amateurs qui dégustent les modulations “live” d’Ekzon où dominent encore quelques nuances tribales vite bousculées par les expériences sonores du DJ, le tout dans une salle plutôt bien gérée question “son”. Les aigus sifflent un peu fort dans les oreilles mais l’acoustique est équilibrée. Quelques très rares spots diffusent ce qu’il faut d’effets mais laissent la salle dans une quasi-pénombre, propice à une écoute intérieure, en toute discrétion. Et c’est bien là un des mérites de cette soirée, celle de rendre crédible un lieu pour découvrir, apprécier une expérience musicale “live” dans une sorte d’intimité généreuse, dégagée des enjeux des grosses affiches, presque une sorte de studio avec une petite piste pour tester en direct l’aventure “techno” qui se libère devant nous.
Après Ekzon et sa rigueur technique, place à Mentrat Noihr (un clin d’oeil à Apollo noir ?) et on apprécie la rapidité du passage de témoin, quand on sait que les artistes vont, tour à tour, s’exprimer ( en live, pardon pour la redite) avec du matériel spécifique. On branche et débranche des câbles à toute vitesse et on plonge dans une rêverie “techno” qui se construit et se déconstruit comme un astre qui s’épuise ou s’effondre dans un trou noir pour mieux exploser. C’est un vrai régal que d’assister à cette “improvisation” qui ne doit rien au hasard et Mentrat Noihr, sur une gamme harmonique minimale, esquisse des variations flamboyantes. Il y a plus de cinquante ans, les vrais amateurs de jazz allaient dans les caveaux pour tenter de sublimer la quintessence, l’alchimie de cette musique. Hier, il m’a semblé que c’était un peu pareil et que d’Ekzon à BNMC, en passant par Bruderschaaft et Mentrat Noihr; on retrouvait un peu de cet esprit initié et initiatique, à la fois confidentiel, exigeant et qui savait pourtant rester populaire, c’est à dire en phase avec les attentes du public.
Avec le duo Bruderschaaft (qui a peut-être, à mes yeux, livré sa meilleure prestation à ce jour), on atteignait (presque) la pierre philosophale du discours “techno”, ce dialogue entre lignes rythmiques radicales et et modulations sensuelles. Vers le milieu d’un set magistralement construit, on voit poindre une tentation groovy vite calmée par un silence de kick et le retour d’une boucle sonore qui aura fonctionné comme un fil rouge fondateur essentiel. Mettre des mots sur de la musique, sur les émotions qu’elle procure est peut-être le plus difficile des exercices, mais “putain” quel plaisir que de voir et d’entendre deux musiciens qui, sans aucun compromis “putassier”, revisitent et transcendent les codes de cette musique dans une construction aussi implacable, et tout ça tout en restant en totale complicité festive avec nous ! Devant une telle effervescence musicale, et je pense réellement à Ekzon et à Mentrat Noihr aussi, je me suis un peu retrouvé comme après une visite dans un très grand musée et j’avoue qu’après trop d’émotions, à trop haute dose, je ne vois ou n’entend plus rien. Hier soir c’est BNMC qui a fait les frais de cette saturation sensuelle tout simplement parce qu’il me fallait digérer toute cette intelligence, délivrée en toute simplicité au Camino. Je m’ excuse auprès de lui mais je n’ai qu’une seule hâte, c’est que ce nouveau “caveau” techno se maintienne dans cette exigeante et rigoureuse exploration musicale. Autour de Bruderschaaft, il y a des astres noirs qui débordent d’une énergie indiscutable sans jamais transiger devant les risques et les audaces de la recherche esthétique et artistique. Ce n’est peut-être pas de la techno “mainstream” débitée à la hache, mais quelle chance que de savoir que nous disposons de tels chercheurs !