Inaugurées au début de l’été, les Écuries définissent désormais une nouvelle ambition culturelle de la ville de Caen autour du quartier Lorge. Belle réhabilitation d’un complexe de plus de 180 ans, les bâtiments accueillent désormais Amavada, Oblique/s et d’autres, dispersés dans les différentes alvéoles. Un “ théâtrion”, salle de représentation (100 places) vient ainsi compléter le parc des salles de spectacles de la ville …n’en jetez plus !
Pour inaugurer, en acte, cet espace, Amavada a eu la bonne idée de permettre au Théâtre de la Rampe de présenter une étape très avancée de sa prochaine création, la mythique pièce de Büchner : Woyzeck. Entreprise folle pour un texte qui ne l’est pas moins, cette nouvelle création aura permis aux spectateurs de découvrir ( pour certains) un texte essentiel dans la construction de l’imaginaire européen et pour tous les superbes potentialités théâtrales du lieu. Ce choix inaugural est fin et judicieux tant il aura permis de mettre en évidence la pertinence de ces Écuries mais aussi l’extrême fragilité de son fonctionnement comme salle de spectacle. Sans budget spécifique et sur les seuls fonds précaires de la compagnie Amavada, il y aura pourtant, dans les prochains mois une programmation présentée dans le beau programme sobrement intitulé Réclame de Logre.
Un nouveau lieu donc et le Théâtre de la Rampe pouvait espérer faire de ces deux jours de représentation ( et d’inauguration) une belle … rampe de lancement à même de convaincre les programmateurs régionaux ou tout au moins les acteurs culturels caennais. Après tout, ce n’est pas tous les jours qu’une compagnie régionale s’empare d’un texte aussi capital. Il faudra pourtant déchanter (un peu) pour les deux metteuses en scène de ce Woyzeck ( Annie Pican et Mathilde Heizmann) qui auront certes eu la joie de discuter avec un public nombreux et enthousiaste, mais qui n’auront pas bénéficié de la venue des “décideurs” culturels qui auraient pu découvrir une proposition aussi exigeante que populaire. L’heure n’est peut-être plus aux grands textes, un féminicide écrit par un immense auteur en 1836 est peut-être plus austère et moins “vendeur” que la confession d’un footballeur, la longue carrière des deux artistes ne mérite-t-elle plus qu’un soutien de façade, qui sait ?
Il y a fort à parier, hélas, que cette belle ébauche de mise en scène reste lettre morte et que son destin préfigure les issues fatales qui attendent de nombreuses autres propositions qui auront la chance de …mourir dans un superbe écrin.
Il y avait pourtant de belles fulgurances dans ces cinquante minutes de “mise en bouche” si généreusement offertes au public. Tout commence par une courte déambulation sous la pluie, histoire de quitter le hall et de rejoindre une alvéole. Là, dans l’austérité brute d’une salle en pierre, le capitaine ( Stéphane Fauvel) attend d’être rasé par le sombre et tourmenté soldat Woyzeck ( Laurent Frattale). L’un parle et l’autre se tait. Le public entoure les deux comédiens et découvre l’inexorable et complexe montée de la folie de Woyzeck. Roulement de tambours, cuivre et accordéon : public et comédiens se retrouvent dans le hall où la fragile silhouette de Marie ( Claire le Plomb) se dévoile dans le cadre d’une fenêtre ouverte. Elle tient son jeune enfant dans ses bras et en quelques minutes laisse entendre la millénaire fatalité de la fille-mère, accompagnée par la plainte criarde et joyeuse de trois musiciens ( Pierre Millet, Jean-Michel Trotoux et Pascal Vigier). On oscille entre cabaret expressionniste et purs moments de grands jeux dramatiques. Cette oscillation entre bouffonnerie et confession poignante marque la première réussite de la proposition, plaçant constamment le public entre tentation empathique et rire “grossier”. On comprend clairement le propos de metteuses en scène qui nous placent dans la posture ambiguë du spectateur cynique ou vaincu par une fatalité qu’il aurait pu cependant interrompre. Direction le “théâtrion” où, comble d’ironie, le spectacle d’inauguration de ces anciennes écuries nous montre un …cheval. Le petit monde de Büchner se met en branle avec ses scientifiques qui se prennent pour des démiurges ou des “psys” de bazar ( Thierry Mettetal dans une belle composition où la folie de la raison bascule dans la plus cruelle satisfaction), avec des “sales mecs” qui violent juste pour se prouver qu’ils ne sont pas déjà morts, avec des animatrices de cirques ( les deux metteuses en scène qui mouillent judicieusement la chemise), avec enfin cette petite troupe d’amateurs qui, loin de faire simplement masse, propose une belle et cohérente vision du “petit” peuple, complice et victime à la fois.
Même dans cet événement présenté comme un “crash test” par Amavada, on sent bien plus qu’une esquisse ou le début d’un travail. De ces fragments de Woyzeck surgissent les preuves d’un travail et d’une réflexion dramaturgique indiscutable et c’est un véritable plaisir théâtral que de découvrir une telle cohérence entre comédiens amateurs et professionnels, que de saisir avec une telle clarté le geste et le propos de cette mise en scène en …suspens !
À l’issue des deux représentations, les spectateurs ne sauront rien de la mort de Marie, rien de la fin du parcours meurtrier de Woyzeck, mais aux sons des applaudissements vibrants, ils auront signifié à toute cette équipe l’évidente envie de connaître la suite. Hélas, la reconnaissance, ici plus que méritée du public, ne vaut rien si ces applaudissements résonnent dans l’indifférence du cénacle décisionnel. Faut-il présenter la fin tragique de Marie en la transposant artificiellement dans les oripeaux d’une drag-queen de bazar pour qu’une tel texte puisse encore résonner ou doit-on se résigner à ne voir ces belles (nouvelles) salles n’être que l’apothéose dramatique d’éternels crash-test. Au-delà du cas Woyzeck, la ville de Caen, la communauté urbaine, la région et ses acteurs culturels ont de belles questions à résoudre si elles n’entendent pas faire de ces nouveaux équipements culturels le somptueux et mortel écrin d’une politique purement patrimoniale : le Wip est hélas là pour nous le rappeler cruellement !
Que dire de plus !
Merci René de porter la voix d’une bien triste et sinistre réalité, où étaient effectivement les pontes de la cultures ou leurs délégations ces 2 soirs là ? À préparer leurs présentations respectives, les uns (unes) et les autres ? dommage que les temps ne puissent s’accorder….
Oui, un très beau moment de théâtre que ce Woyseck qui était visible ces 2 soirs de milieu de cette semaine !
Merci René de porter la voix d’une bien triste réalité, hélas!
Où étaient-ils les pontes de la culture ou leurs délégations ? Peut-être préparaient ils, ici et là, leurs présentations de nouvelle saison ?
Dommage que les temps ne puissent s’accorder….
Merci aux metteuses en scène, à toute leur équipe et à celle qui a permis à ce moment d’être.