Depuis quelques années le tristounet automne caennais se prend un coup de soleil avec la Big Party organisée par le Centre Chorégraphique National. Le temps d’une soirée, la salle du CCN, rue du Carel, devient ce night-club (de luxe) qui nous manque si cruellement, le reste de l’année. Les oiseaux de la nuit connaissent le « spot » depuis le début et se mêlent, avec classe, au petit monde de la bienséance culturelle caennaise qui profite de cet événement pour s’encanailler sur le dancefloor, cela vous donne un petit air Palace, version bocage du meilleur effet.
Pour cette version 2024, au rayon des nouveautés, on peut saluer cette envie de déborder dans la rue et dans les équipements environnants, et voilà que notre bourgeoise et respectable rue du Carel, barrée pour l’occasion, devient l’espace poétique d’une performance de danse et que dire de la grande salle de sport qui jouxte le CCN et qui vaudra au public une séance de roller ( plus ou moins) chorégraphiée….
Dès 19h30, la foule se presse, soigneusement encadrée par des barrières. Il faut dire que la jauge (650 personnes) est basse pour cet événement gratuit. Lors de la dernière Big Party, il y a deux ans, on faisait encore la queue vers minuit pour espérer rentrer ( voir mon billet dans Cave Caenem), ce qui n’aura pas été le cas hier soir.
Toujours aussi follement architecturée par Nicolas Maalouly, on évolue cette année dans un univers de boîte de nuit très années 90 et l’immense ghetto-blaster qui surplombe la scène ( repris en illustration dans la com de la soirée) nous donnera le La de la soirée : une nostalgique balade entre Kylie Minogue et Gala ( version face B de Freed from desire)…
Vers 20h30, le public entoure, dans la rue, une voiture, toutes portes ouvertes, qui, crash… accident…panne d’essence, bloque la rue et dresse sa fantomatique carcasse devant l’antique et beau mur d’enceinte de la mairie. L’image est puissante et belle et prend vie quand une danseuse ( Adèle Turby) surgit et entre dans une sorte de transe corporelle tandis que sur le mur un dialogue étrange s’inscrit où il sera question de danse, de rave, de punk, de mythe et d’histoire. Ça danse, ça bouge, ça transpire mais je me lasse assez vite de cette petite narration dansée qui n’a de cesse d’illustrer les propos diffusés sur le mur.
Place au plat de résistance avec le « concert » de Michel Hubert dans la grande salle du CCN. Malheureusement pour moi, j’avais déjà eu l’occasion, l’année dernière à Lisieux, de découvrir la très discutable performance de ce show man de supérette. Autant, sans mépris, elle me semblait convenir pour la première édition d’un festival associatif ( Les Perseides), autant elle m’aura semblé incongrue et bas de gamme pour un centre chorégraphique…national ! Encore et toujours les mêmes recettes, une bande-son boom boom ( version golf Gti avec queue de castor sur le rétroviseur) et les éructations au micro d’un chauffeur de salle qui tenterait de faire danser les acheteurs lors des portes ouvertes d’un Castorama. Cela se veut deuxième ou troisième degré et cela peut même fonctionner la première fois, mais le show est si laborieusement velléitaire dans son humour qu’à bout de dix minutes tous les artifices sont dévoilés. Nouveauté gadget pour cette nouvelle apparition, des gants laser wouah c’est cooooool ! S’installe dans ma tête l’idée d’une Big Party un peu plus cheap que les précédentes, et le petit détour par la salle de sport pour assister à une séance de roller ne fera que le confirmer. Là encore, sur le papier, l’idée de confronter le monde du sport et celui de la danse semble une très bonne idée, mais le résultat aura laissé une grande partie du public pantois. Mises en mouvement ( j’hésite à écrire chorégraphiées) par Katarina Andreou, les huit sportives du Roller Derby Caen, pleines de bonne volonté et d’enthousiasme, évoluent en effectuant de vagues figures attendues ( des lignes, des rondes, des départs) dans une précision discutable ( mais elles ne sont absolument pas en cause) et durant une petite demi-heure, on assiste ( amusé ou peiné) à un spectacle qui relève plus de la performance de la fête de fin d’année d’une MJC qu’à une véritable performance de CCN… La différence entre les artistes et les amateurs se situe peut-être dans cet espace entre enthousiasme et exigence.
Pour finir la soirée, retour vers la boîte de nuit d’un soir avec le long et parfois séduisant set de Nizar. Il nous glisse lentement dans une nostalgique évocation d’un night-club du siècle dernier ( on a tous en tête, pour les plus anciens, un Macumba club qui ne demande qu’à se réveiller). Là encore, le second degré règne en maître, mais c’est fait avec une science du mix et quelques petites pépites sonores qui font mouche. Vers la fin de la soirée, après plus de deux heures de mix cependant, un essoufflement s’installe et il faudra avoir recours aux bons gros tubes des années 90 qui défileront avec des transitions de plus en plus approximatives. Un début digne du Queen et une fin, hélas, plus proche des Child of du …Portobello.
Que retenir donc de cette nouvelle édition de la Big Party ? Une louable envie de faire exploser les murs et d’envahir toute la rue et les équipements environnants, un goût et une envie indiscutable pour faire, encore et toujours, revivre la fête et le plaisir de se retrouver. Il ne faudrait pas que cette exigence soit pénalisée par une programmation plus discutable. La grande réussite d’Alban Richard, à la tête du CCN depuis de nombreuses années, aura été de renouer un dialogue avec les exclus de la danse moderne officielle et de le faire avec une haute exigence artistique. Le goût est certes une question culturelle et le mien n’est pas plus sûr que celui de mon voisin ( qui pourtant ne mange que des MC Do). Mais on attend tout de même de nos artistes « officiels » l’assurance d’une très haute valeur artistique ajoutée, même pour une Big Party….