Vendredi soir, pour une petite veillée d’armes avant la grosse soirée Cargö, c’est aux Trois Marches qu’on pouvait avoir la certitude d’une sorte de Before artistiquement indiscutable. Avec leur duo Conversation, Léo Larbi et Chanèle ( sainte musicale s’il en est) continuent à offrir à tour de bras des petites pépites aussi dansantes que ciselées comme ce Lose control de Dino Lenny. On retrouve le petit bougeoir, un énorme chrysanthème rouge pour orner un petit autel musical propre à une liturgie réglée comme du papier à musique et pour le reste on peut faire confiance, les yeux fermés, à la culture musicale des deux artistes pour sortir des sentiers battus. Pouvait-on espérer une plus belle mise en … « oreille » pour le rendez-vous hivernal annuel de Mad Brains au Cargö ?
Il fallait bien du courage et de la motivation pour affronter la pluie et le vent, samedi soir et plus que jamais l’enseigne rouge pétante du lieu claquait comme un phare dans cette bourrasque. Depuis quelques jours, sur les réseaux, le collectif nous faisait de l’œil avec la promesse d’un habillage vidéo hors norme et il me tardait de découvrir sur place la validité d’une telle promesse. Si on ajoute à cela l’annonce d’un débarquement de drag queens et une salle club estampillée ambiance Studio 54, on tient, sur le papier, les éléments d’une recette éprouvée mais gagnante.
Dès 22h les portes du club s’ouvrent sur le plus communicatif des duos normands : R’1 et Vince Vega. À charge pour eux, durant près de trois heures, d’insuffler à cette salle l’ambiance Studio 54 promise, et ce sous un accueillant lustre métallique ( version alu et signé Marc Hariau) qui donne à l’ensemble cet aspect glittering-glam indispensable. Les deux s’entendent comme larrons en foire mais n’hésitent pas à sortir des cadres attendus pour un voyage au long cours subtil et loin des facilités convenus de la scène house.
Au même moment, dans la grande scène, Ekzon, laisse entendre ses premières notes breakées tandis que l’on découvre les premiers feux d’une animation vidéo qui profite à plein d’un tulle de tissu parfaitement tendu devant la scène. Ce léger voile de coton permet l’illusion d’une immersion en profondeur dans l’image tout en laissant transparaître l’artiste dans le léger halo d’une lumière diaprée ou presque diaphane. Déjà testée par le collectif en 2019, ce dispositif de projection, nous revient donc avec un magnifique travail du Studio Castagne qui tout au long de la nuit, dévoilera ses images-hologrammes. Pour transcender et sublimer l’impériale froideur de ces imagines en noir et blanc, on ne pouvait trouver mieux que la chorégraphie des lasers orchestrée par Pan Tilt Lightning. En bord de scène, deux lasers dirigés vers le fond de la salle vont littéralement dialoguer toute la nuit avec la musique dans une sorte de concerto son-lumière qui parviendra toujours à dynamiser un univers techno parfois très (trop) prévisible. Ekzon, dans une salle qui se remplit lentement, entre de plain-pied dans la dynamique d’un warm up techno où les codes du genre sont soigneusement posés. Retour dans le club pour la première entrée en scène des tant attendues Drag queens. Une longiligne Twiggy directement sortie d’un Londres des années 60 entre en scène pour les derniers instants du duo R’1/Vince Vega mais elle se fait rapidement voler la vedette par une comparse qui très vite chauffe la salle avec un effeuillage qui saura rester pudique. Le show est un peu poussif et les contorsions de go go dance n’auront trop souvent qu’un lointain parfum érotique ou lascif éventée, peut-être un effet indirect de la tempête ?
Ramona Yacef, une des guests de la soirée s’empare du club et laisse flotter une étrange impression de … flottement. Elle débute avec un travail pointu ( c’est parfois un doux euphémisme pour ne pas oser le mot ch…t ) qui vient titiller des sonorités presque electronica et renoue avec des sons plus festifs quand elle laisse éclater Plastic Dreams de Jaydee, une vieille et redoutable recette de 1993 mais qui permet de redonner au club une petite vitalité. Il en sera ainsi durant tout un set qui à mes yeux relevait plus d’une quête alchimique et intellectuelle que d’une nécessaire efficacité Groovy : pointu, c’est comme ça qu’il convient de dire…
Dans la grande salle, une autre figure féminine, AlysLF, laisse entendre la puissance de son cri techno. Magnifiquement sublimée par un show vidéo-laser époustouflant, elle fait monter, monter, monter la dictature d’un kick tout en veillant à ne pas oublier les nécessaires boucles rythmiques qui, sans elles, donneraient à cette musique une lourdeur martiale un peu caricaturale. Des éclairs de laser ponctuent les temps forts du discours musical et c’est sur ce délicat cocktail qu’Ethereal Structure peut nous « achever » avec une techno sans concession, et radicale. Un petit temps mort malencontreux avant l’installation du dernier guest de la soirée Lewis Fautzi qui, à son tour, vient un peu redire musicalement une rengaine techno austère mais soigneusement exécutée. Il y a certes de la cohérence dans ce line up proposée dans la grande salle mais je défie tout de même bien des oreilles, même expertes, à différencier à l’aveugle les kicks des quatre artistes présentés.
Dans le club, après le déconcertant passage de Ramona Yacef, Fred H vient un peu remettre l’église au centre du village House tandis que les plus exaltés des clubbers se gorgent de vitamines sonores pour affronter l’after proposé au Portobello et qui sonnent pour certains comme la réelle nouveauté de la scène electro caennaise. À l’heure où j’écris ces lignes, ça doit encore guincher du côté du canal ce qui prouve un besoin ou une attente. Nul doute que cette soirée vient clore une belle saison Mad Brains, elle en portait en tout cas l’indéniable signature.