On grandit de ses erreurs et cette édition 2025 du Skoll winter festival vient nous confirmer la justesse du dicton. Pour cette deuxième tentative d’installation à Caen d’un festival techno d’envergure, on ne peut que louer les efforts dans l’accueil et l’organisation. Tout est fluide et aux dimensions du lieu. C’est que les organisateurs ont vu grand, très grand même et cette première des deux soirées prévues flotte un peu dans ces deux vastes halls qu’il faut tout de même remplir. Avec un peu plus de 2500 fêtards réunis pour ce dernier jour de février on peut, selon l’humeur, considérer le verre à moitié plein ou … à moitié vide.
Côté accueil donc, les deux salles font le job même si le pari de la prétendue « Boiler Room » à 360° fait une fois encore un peu le bide dans cette Skali stage destinée à accueillir le gros du public. Une scène centrale donc mais avec un public désespérément en mode frontal et un immense vide tout autour. Ça « flotte » donc un peu et les lasers, omniprésents, balayent implacablement le béton gris du sol. Ce soir, avec le double du public attendu, cette impression devrait disparaître en partie mais ce dispositif scénique reste un défi qu’il faudrait savoir anticiper, ne serait-ce qu’en éclairant au fur et à mesure la salle selon l’évolution de sa jauge.
Innovation cette année, une deuxième salle ( Jarl stage), avec sa scène dans un bon vieux dispositif classique, reprend avec sagesse les codes espérés pour ce genre de soirée. Si on retrouve les discutables jets de fumées et de flammes qui appuient ou commentent les lâchers de drops, on ne peut que louer la belle élégance de ces trois grandes bandes lumineuses qui, sobrement, esquissent un bel autel prêt à accueillir, en début de soirée un tiercé féminin, à commencer par la grenobloise Melaudica, qui, brouillant les cartes, navigue avec rondeur entre des tentations de free-party et des envolées « club ». Plus que jamais j’éprouve avec elle l’exigence du warm-up tant il faut de l’énergie et du courage pour réchauffer une salle glaciale et la dizaine de danseurs.
Dans la grande salle, au même moment, Baya, le « régional » de l’étape semble faire le même pari, celui d’un équilibre encore précaire entre subtilités mélodiques et « bourrinades » de kicks. Avec le recul, je dois bien reconnaître qu’il n’aura pas à rougir de son travail tant ses successeurs vont se débarrasser rapidement de ces pudeurs pour balancer, sans vergogne, toutes les deux minutes (au mieux) des drops, des drops et encore des drops avec parfois l’efficacité d’un marteau ( de Thor ?) pour écraser une mouche. Certes, il y aura toujours les interchangeables « bio » des dossiers de presse pour nous dire que Schlass ( qui viendra juste après Baya), ou Solar ou Hi Dude sont des artistes « caméléon » ou schizophrénique, qu’ils ou elle cassent ou se moquent des codes il n’en reste pas moins vrai que dans les deux scènes ce sera encore et toujours la même dynamique : kick, kick boum, drop et kick kick boum….
A discuter ici et là avec des ami(e)s de soirée j’entends la même rengaine, comme pour se dédouaner de ne pas entrer dans cette mécanique sommaire et lassante : « peut-être que je suis trop vieux, ou trop vieille ? » estimant sûrement que le vieux réel que je suis ne pourrait que poliment répondre : « mais pas du tout ». Je ne tomberai pas dans le piège du vieux con ( que je suis certainement) et je préfère rester exclusivement dans une lecture purement musicale de ce qui nous est proposé. C’est très difficile de mettre des mots (justes ?) sur des impressions, des émotions provoqués par la musique et je tente de le faire autour des sonorités « electro » qui souffrent, plus que toutes les autres musiques, de l’absence d’un discours critique « officiel », la presse spécialisée n’étant plus qu’une immense photocopieuse à … dossiers de presse. Bref, les dossiers de presse des artistes usent et abusent des mêmes poncifs mais qu’en est-il réellement de la musique que ces mêmes artistes produisent. Si je ne peux que reconnaître le saut « quali » indiscutable de cette deuxième édition je reste circonspect devant cette deuxième scène qui, au lieu de compléter les « bourrinades » de la première, sera bêtement entrée en concurrence, sans jamais offrir une alternative esthétique pourtant nécessaire, ne serait-ce que pour rincer les oreilles comme le fait le verre d’eau entre deux dégustations de bon vin ou de … pinard.
Il faudra attendre 3h20 pour que Majes, dans la petite salle, fasse entendre une variation punchy de l’Adagio pour cordes de Samuel Barber, ce « classique » de la musique américaine qu’on entend dans le film Platoon et qu’avant lui William Orbit, Ferry Corsten ou Tiësto avaient déjà « poncé » avec plus ou moins de subtilités. Vers trois heures du matin donc, Pawlowski ( dans la grande salle) et Majes osent casser la monotonie laborieuse en laissant poser les boucles sonores, en construisant ( enfin) une ossature à des sets qui jusqu’ici n’avaient été que des cavalcades de boum boum sans âme et surtout sans aucune créativités. Danser sur la table, comme le fera Solar, ou comme Lolalita, prendre un micro et passer devant les contrôleurs pour chantonner un texte inaudible ne suffit pas pour faire de la musique : ça fait peut-être le show et c’est instragrammable mais sans le soutien et l’appui d’un véritable discours musical, c’est juste une attraction ! Je suis peut-être un vieux con et on ne me le dira pas en face, mais je préfère encore ma franchise à certains silences plus ou moins honteux dès lors qu’il s’agissait juste de répondre à cette simple question : « alors, comment tu trouves ? ». Pour me résumer et sans céder aux diktats du pouce levé ou baissé, je salue chaleureusement l’énergie et la qualité organisationnelle de ce Skoll 2025 mais la monotonie ( ou la paresse) d’une partie de sa programmation risque fort de nuire à ses ambitions légitimes. Installer un festival dans le temps ce n’est pas répondre à un besoin mais c’est d’abord et avant tout construire et éduquer un public pour lui permettre d’accéder aux codes d’un art en « loucedé », c’est à dire à travers une offre festive et exigeante. C’est la différence entre une cantine et un trois étoiles, entre un robinet à drops et un réel éblouissement. On pourrait me répondre : « peu importe, pourvu qu’on ait l’ivresse ! » mais du pinard dans un verre nutella ou dans un Baccarat, ça reste du …pinard !
Ce soir, aux dires des organisateurs, ça va « bastonner », soit ! Mais à l’heure où la baston devient la nouvelle mode pour diriger le monde, je passe mon tour et je vais en profiter pour écouter le dernier John Hopkins, un peu de douceur dans ce monde de brutes.