Un entretien avec Vertuoze, dj et président-fondateur de Senary
Le 6 septembre prochain, au parc du Biez à Mondeville, le collectif Senary nous invite à la quatrième édition de sa “Guinguette Électro”. Une fois encore, cet événement ( gratuit) marquera le signal de la rentrée de la scène électro locale ; le prétexte idéal pour un entretien avec Vertuoze.
Depuis 2014, le dj Vertuoze a su imposer son style et sa personnalité mais c’est en 2019 que naît officiellement Senary, un collectif musical bien décidé à poursuivre une double logique de label et de propositions événementielles.
Senary c’est aujourd’hui un collectif actif de 12 personnes qui autour des artistes ( Greeds, Marcorel, Lamy, Slipstream, HCo …) font vivre au quotidien une structure plus active que jamais en cette rentrée 2025. “Rien que pour la Guinguette, on mobilise plus d’une cinquantaine de bénévoles …” rappelle, non sans une légitime fierté, Vertuoze qui n’oublie pas de saluer au passage le soutien actif de la maire de Mondeville qui, dès la première édition, accompagne l’initiative.
Fort d’un succès grandissant, les organisateurs attendent environ 2000 personnes ( de 15H à 1h du matin) et, profitant des expériences précédentes, affinent cette année la convivialité avec la mise en place d’une double buvette et d’un système de jetons-token qui va fluidifier sans aucun doute les passages au bar, qu’on se le dise ! Au rayon programmation, si on peut compter sur les résidents de Senary ( Slipstream, Marcorel, Lamy, HCo), on notera surtout le grand retour d’une ancienne figure de la scène locale, Seax, qui avait fait les belles heures de l’Icône et signé quelques moments de folies des regrettés Before Nordik. Et comme le collectif n’est pas avare en cadeaux artistiques, on en profitera pour entendre ( et découvrir pour ma part) Vitaline, une dj-productrice passée par le Rex et le Cabaret Sauvage ( rien que ça !) et qui, sous influences latines, semble faire vibrer ses sets de manière inédite. Si on ajoute à cela un cortège d’animations pour petits et grands, on obtient sans aucun doute les recettes d’un succès mérité.
Au fur et à mesure de notre discussion, Vertuoze revient sans cesse sur certains points et se dessine lentement une affirmation nouvelle, celle de renouer avec un sens de la fête, quitte à corriger fortement les tentations de la fuite en avant hard techno. Même si cela ne s’écrit pas encore en toutes lettres dans la “com” de Senary, Vertuoze assume et reconnaît un virage plus apaisé et une volonté de se soustraire aux diktats du boum-boum anesthésiant de la hard-techno. Crise de la “trentaine” ou maturité à saluer, Vertuoze insiste sur la dimension ( et la mission) pédagogique des porteurs d’événements électro et souhaite, à sa manière, corriger les excès tout en renouant avec une techno plus subtile, de quoi ravir les connaisseurs et instruire les novices.
Chroma : le beau pari de la Fonderie …
Une semaine plus tard, le 13 septembre, c’est à la Fonderie ( Hérouville) que va s’attaquer le collectif. En auto-produisant cet événement, et en investissant pour la première fois ce lieu, Senary conforte sa place et témoigne d’une vitalité à saluer.
À la question du titre, Chroma, Vertuoze évoque, non sans raison, la collaboration du collectif avec l’artiste Marc Hariau. Bien connu pour son “tableau”, route de Ouistreham, et ses sculptures où dominent les nuances métalliques de l’aluminium, Marc Hariau, après avoir “designé” la Guinguette 2025, va s’emparer du cadre un peu froid de la Fonderie pour y décliner sa folie qui, nous jure Vertuoze, sera accompagnée d’une véritable fantaisie …chromatique !
Dans sa nouvelle logique de retour aux sources, le public, loin des derniers dispositifs à 360°, retrouvera une scène en mode frontal, un peu comme les vieilles “rave de Paname” et c’est dans ce même esprit que la programmation ( outre Vertuoze, Greeds et Lamy, résidents du collectif) va nous offrir, sans nostalgie aucune, mais avec l’efficacité des artistes reconnus, Regal et CJ Bolland.
Le madrilène Regal, connu aussi sous son alias Acidboy, nous charme ( pour ne pas écrire : nous régale ) depuis plus de dix ans de ses sonorités acid techno. Avec lui, on se prend, dans les oreilles et dans le ventre, un concentré vitaminé des vingt dernières années musicales sans jamais le voir succomber aux facilités d’une techno tik-tok, la classe espagnole !
CJ Bolland, quant à lui, il suffit d’écouter Camargue, son tube de ….1992, pour se dire que ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire des grimaces. Si le terme n’était pas aussi galvaudé on pourrait bien dire qu’il est ( et reste) une légende vivante de la scène techno et rien que pour “communier” avec lui, il convient de ne pas rater son offrande musicale. Senary, Vertuoze en tête, assume cette programmation qui maintient un équilibre rigoureux entre audace, transition et transmission, et nous livre un plateau artistique concocté avec gourmandise et amour et si, comme me le confirme Vertuoze, le closing concocté par Greeds nous réserve sa part de pépites dansantes “mega happy”, on coche toutes les cases d’une soirée …exceptionnelle.
L’entretien se prolonge, et une implacable cohérence se dessine dans notre échange, comme ces jetons-token de la guinguette, réutilisables pour Chroma, comme cette double signature visuelle de Marc Hariau. Pour sortir de l’actualité Senary, j’invite Vertuoze à un exercice plus intime, plus risqué en lui demandant de commenter la scène electro locale. Nous tombons rapidement d’accord sur le foisonnement des propositions artistiques, parfois futiles ou superflues. Sans réelle surprise, son petit panthéon local recouvre souvent le mien, Mati, Angseth, Sprns et Greeds ( son humilité le force presque à taire cet artiste-maison), mais il ajoute Sid Jenkins ce qui m’oblige à remettre un peu d’ordre dans mes propres “fiches”. Au-delà du caractère très subjectif mais enthousiaste sur nos “artistes” se dégage vite un constat plus paradoxal : comment expliquer l’absence réelle d’une scène electro caennaise à proprement parler avec une telle profusion d’artistes talentueux ? À son échelle, Senary tente de répondre avec pragmatisme en développant une collaboration bimestrielle avec le Crazy night club dont j’ai déjà parlé. La question de l’accompagnement et du soutien à ces musiques n’en reste pas moins ouverte et Vertuoze, en artiste engagé, observe avec attention les prémisses ou les silences des prochains débats municipaux.
On ne peut que se réjouir de voir la saison électro 25-26 repartir sous de telles annonces et on parie plus que jamais sur le militantisme ( et la passion) des amateurs pour profiter au mieux de ces offres. Le même jour, à Maltot, se tiendra un autre rendez-vous dont je reparlerai très vite mais n’oublions jamais qu’il s’agit-là d’une scène musicale qui repose sur le seul équilibre financier d’associations qui prennent tous les risques, sans aucune subvention. Alors on fonce à la Guinguette, on fonce à Chroma et (ou ) à Maltot, mais on soutient, sans hésitation, nos artistes et les collectifs qui nous permettent de vivre nos passions musicales !