Electr’open prend l’eau.
En arrivant au carrefour de Maltot, vers 15h, ce samedi, c’est un peu l’ambiance des grands jours. Les quatre points du carrefour sont verrouillés par des voitures de police, genre « rave » sauvage sur terres brûlées. On se dit qu’un tel dispositif n’est possible que pour un événement exceptionnel !
À peine le dispositif policier depassé, on arrive au « château » dit de Maltot. À vrai dire, et ce sera un peu à l’image de cet Electr’open, on enjolive un peu puisque, sur sur place, on est plutôt devant un manoir bourgeois que devant un château. La météo, capricieuse et pluvieuse, explique peut-être (mais pas totalement) la très faible fréquentation et c’est devant une grande scène bien déserte que débute mon périple. Naïf que je suis, je pensais que cette manifestation pouvait et devait être une belle vitrine pour les collectifs présents, mais sur place, on ne verra rien de cela, pas un line up, pas une affiche pour annoncer les artistes présents ou présenter les collectifs, mais plutôt une ambiance de kermesse de fin d’année scolaire…
La grande scène, en face du château-manoir est parfaitement sonorisée et elle permet de profiter pleinement, en début d’après-midi, d’un son que pour ma part je supporterais à peine à 3h du matin, un son « hard » et surchargé. Je profite à peine des subtils derniers instants musicaux concoctés par Jacob Palmer ( Psybox) en grande partie balayés ensuite par les envolées hors-sol de PSCL ( les vagues electro) qui navigue entre fuite en avant des Bpm et radicalité « hard » un peu hors de propos. Les averses se suivent et le public toujours aussi modeste tente de trouver un abri. Une petite scène secondaire, à côté du gymnase, tente désespérément d’exister mais durant toute l’après-midi, faute de monde ou d’intérêt, elle fera peine à voir et pourtant le collectif Culotté ( vers 17h) ne manque pas d’atouts avec Oser, Gibben et Skinzag qui font plus que le job avec des tracks ensoleillés.
Sur la grande scène, Nico B et Angseth (MAD Brains) ont beau balancer pépites House à foison, rien n’y fait ou presque, la « folie » annoncée ne prend pas et la piste reste vide tandis que de petits groupes font quelques taches de couleur sur cette trop grande pelouse. Je n’ai aucun plaisir à écrire ces lignes ( c’est bien la première fois que je mets deux jours à rédiger mon billet) mais force est de constater que rien n’a pris dans ce premier Electr’open. L’incertitude de la météo a beau dos, mais c’est bien la dynamique même du projet qu’il convient d’interroger. Si le but est de montrer les forces vives de la création locale, il faut que ces forces soient clairement mises en valeur et qu’elles soient encadrées dans un programme (line up) qui ne brouille pas les styles et les esthétiques dans une programmation musicale illisible. Pour qui passait par là par hasard ( sans être dissuadé par l’invraisemblable présence policière), il fallait une grosse dose de bonne volonté pour voir, derrière animation vaguement festive, une carte de visite flamboyante de notre scène musicale… c’est dommage.
Chroma : une superbe soirée pour se remonter le moral.
S’il faut toujours se remettre en selle après une chute ( de cheval ou d’amour…), je ne pouvais pas espérer plus belle occasion que cette soirée Chroma à la Fonderie pour raviver ma flamme. Le collectif Senary, après son incontestable succès la semaine dernière avec sa Guinguette remettait le couvert avec une soirée plus risquée.
Vers 23h, je retrouve la salle d’Hérouville dans un dispositif traditionnel : la scène est au fond et, grâce au travail de Marc Hariau, elle se dévoile dans un bel exercice de mise en abîme. Au premier plan, encadrant la cage de scène, des petits nuages métalliques servent d’écrin à une subtile et discrète projection d’hologrammes. De part et d’autre de la scène, deux immenses rideaux noirs servent d’écran à deux immenses logos Senary qui tourneront toute la nuit sur eux-mêmes. Des tubes-led dégagent une ligne de fuite qui place les djs dans une sorte de tunnel lumineux qui, Chroma oblige, passera par des variations de couleurs délicates. C’est « classe » et sobre à la fois.
Sur cette même ligne (classe et sobre à la fois), j’avoue que je n’attendais pas forcément Vertuøze sur ce registre. Et pourtant …. Avec modestie (et talent) le leader de Senary se colle au délicat exercice du warm up et il le fait avec une rigueur implacable, souveraine. Il sait bien que les notes d’ouverture donnent toujours le « la » du reste de la soirée. Avec un art de l’épure, il dessine et peaufine un cocon sonore qui va nous placer immédiatement dans sorte de climat approprié, entre tension et relâchement, et je ne lâche pas une seule minute de cet entrée en matière d’une heure trente ! On le sent, on le sait déjà, musicalement la soirée sera parfaite et Lamy vient confirmer cette première impression avec un set peut-être un peu prévisible par moment mais qui saura aussi s’évader vers une douce folie toujours cadrée par la cavalcade effrénée de ses kicks.
Je ne m’en cache pas, au-delà du plaisir de retrouver des djs que j’apprécie sincèrement, ma première motivation était dans le plaisir d’entendre une nouvelle fois CJ Bolland. À vrai dire, il sommeillait un peu dans mon Panthéon, avec le souvenir très lointain ( ah la vieillesse quelle naufrage parfois) de quelques soirées légendaires. J’avoue en plus qu’il me plaisait assez de savoir comment CJ Bolland parviendrait à donner une claque musicale à certains jeunes DJs. Durant plus d’une heure, entre techno mentale, pulsations faussement incompréhensibles et impasses supposées qui débouchent sur des avenues royales, CJ Bolland aura tout simplement renversé le public. On pense qu’il va taper à droite avec un kick évident et on est assommé par la gauche avec une caresse mélodique qui fait ensuite entendre un rugissement…mortel ! Rien ne pèse et ne pose, tout est au service d’une montée en puissance aussi érotique que sensuelle et à la fin, quand s’échappent enfin quelques paroles aussi libératrices qu’inattendues, on reste groggy et bouleversé par ce qu’on vient de vivre ! Vous étiez plus de 12 000 à lire ( ou survoler) mon papier sur la guinguette de Senary et c’est forcément gratifiant, mais nous étions trop peu, samedi soir, à vivre ce moment musical proposé par ce même collectif. Inutile de chercher à donner mauvaise conscience, ce n’est pas un sentiment intéressant, en revanche comment ne pas dire et glorifier ce moment magique que vous avez raté ?
Encore tout retourné par CJ Bolland, j’écoute un peu plus distrait les premières notes de Regal, l’autre tête d’affiche de la soirée. Il est temps pour moi de rentrer, incapable, après Maltot et le choc CJ Bolland, d’en supporter plus. J’en suis désolé pour le set de Greeds mais je sais qu’il nous réserve d’autres surprises.
Que retenir de cette intense et déroutante journée « electro » ? Une hirondelle ne fait pas le printemps et le succès d’une guinguette peut hélas annoncer un hiver musical. La fréquentation très faible de ces deux événements nous interroge tous. À nous tous, acteurs et amateurs de cette musique d’accompagner dignement les événements essentiels et de rappeler, parfois, l’incontestable nécessité d’une réelle exigence artistique. Si, hélas, cela ne garantit pas toujours le succès public, cela permet du moins de différencier une animation locale d’une véritable fête artistique.