On pouvait bien se douter qu’il allait se passer quelque chose d’exceptionnel du côté de la Fonderie, hier soir. Après tout, ce n’est pas tous les jours qu’on fête ses dix ans. Cette salle, pourtant ingrate, semble décidément porter bonheur au collectif Oiz qui, une fois encore, est parvenu à nous transformer une grosse salle des fêtes en un club XXL digne d’une grande capitale. 

Pour réaliser ce petit miracle, il faut, une nouvelle fois , s’attarder sur l’inventivité des hommes ( et des femmes) de l’ombre qui sont parvenu(e)s à nous faire totalement oublier la froideur blanche et sans âme de cette salle. Si désormais l’expertise d’Elypsonore en matière de sonorisation est installée, la puissance muselée (ou rugissante) du système-son reste difficile à traduire en mots. À peine entré dans la salle, un son clair, détaillé et projeté sans lourdeur vous enveloppe. Combien de fois suis-je reparti d’une soirée en maudissant ces « trous » dans la raquette du spectre sonore, des creux dans le médium ou les aigus, une domination vulgaire des basses. Contrairement aux idées reçues, ces musiques dites électroniques méritent les plus subtiles des balances pour accompagner la simplicité apparente du boum boum. Éduquer l’oreille, faire entendre, comme avec Isabelle Beaucamp, les petites nappes discrètes derrière les gros kicks, cela semble une évidence mais rares sont les salles ou les ingé-sons sont  capables d’y parvenir avec une telle efficacité. Si nos oreilles étaient chouchoutées  comme jamais sur Caen, que dire de la splendide proposition visuelle ? Aucune lumière parasite pour taper sur les murs blancs de la salle. Le regard est happé vers la scène, une scène remplie de carré lumineux qui, depuis le milieu de la salle, en trois rangées de trois viennent ensuite « s’éclater » en dix sur le fond de scène. Dit comme cela, on peine certainement à saisir la puissance hypnotique de la proposition mals tout au long de la nuit, ce dispositif, faussement minimaliste, montrera la puissance infinie de ses variations. Des cadres de lumière, du bleu, du rouge, et puis les cadres s’estompent, juste un côté qui s’éclaire, puis un autre, le fond d’abord, et, en relais, le premier des trois rangs dans la salle, puis les autres. J’ai connu certaines installations d’art contemporain qui n’offraient pas une telle magie visuelle et comment taire cet effet ( volontaire ou non, la magie du doute reste entière) où les barres éclairées des cadres, une seule, à gauche pour le premier et les quatre sur le suivant et voilà que, de manière presque subliminale, on pouvait clairement percevoir un «  IO » lumineux, comme ces dix ans qu’il fallait fêter ! On était clairement dans la cour des … grands !

Arrivé vers minuit, Majoka et Peck (B2B) s’imposent musicalement sans en imposer. L’autre grand mérite de cette soirée aura été dans cette maîtrise constante de l’énergie « tech » qui, si elle fonce tête baissée dans la lourdeur de ses bpm bodybuildés devient, pour ma part, très vite …chiante ! On sent que la consigne du line up de la soirée est claire : ne pas se renier et affirmer ( assumer) une signature sonore puissante mais dans une montée en tension graduée, presque délicate. Cette impression se confirme avec le duo NHM et LABN, qu’on a connu plus « basiques » et qui, hier soir, aura tenu de bout en bout un set texturé comme jamais, entrecoupé de chevilles qui enrichissaient constamment le déroulement implacable de leur galop fougueux. Une heure trente mitonnée avec justesse et qui accompagne à souhait une salle ( pleine) et en totale sympathie avec les deux artistes. À ce moment-là de la nuit, le doute n’est plus permis, on est juste en train de vivre un moment de douce folie.

KTK, la première guest de la soirée surfe habilement avec une salle si bien chauffée et elle le fait avec les bonnes vieilles recettes berlinoises mais qui, lors de la fin de son set, vont laisser la place à des audaces mélodiques de plus en plus complexes et qui annoncent, avec tact, l’entrée en scène d’Isabelle Beaucamp. Le dancefloor s’embrase littéralement quand sonne, ça et là, des boucles qu’on connaissait sous des bpm plus nonchalants et c’est cette recette que va radicaliser Isabelle Beaucamp. Avec elle, sans aucun complexe, on est à la foire, à bord d’un train-fantôme et on en viendrait presque à tendre la main pour décrocher le pompon et exiger un tour supplémentaire. Deux minutes old school passées à la moulinette d’un bpm ravageur et c’est un virage à 90 degrés négocié sans crier gare. C’est terriblement efficace même si, pour ma part, la régularité du procédé finit par être un peu lassante. La technique est redoutable mais les montagnes russes finissent par avoir raison de ma santé physique, je suis mort de fatigue… La soirée s’achève vers 8h du matin avec un petit changement de programme mais je sais que les organisateurs dorment, au moment où j’écris ces lignes avec le sommeil des justes et le sentiment indiscutable d’une victoire totale. Une fois encore Oiz sera parvenu à me faire entrer dans un univers qui n’est pas naturellement le mien mais, pierre après pierre, ils affinent et affirment un discours original, sincère et militant. Nul ne sait si, dans dix ans, on fêtera leur nouvelle décennie mais une chose est désormais certaine, rares sont les collectifs parvenus à une telle maturité professionnelle tout en conservant, sans se renier, la fougue et la folie de leur jeunesse. On me reproche parfois d’avoir la dent dure, espérons que ces quelques lignes sincèrement admiratives témoigneront le plus justement de cette formidable soirée normande. 

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