Le mois de décembre est ponctué de rendez-vous festifs et depuis des années, pour les amateurs, il y a « la » soirée M.A.D Brains du Cargö qui vient, en quelque sorte, conclure notre année musicale et qui sait, la résumer ?
Dans le petit milieu électro caennais, une soirée Cargö reste un événement singulier et une démonstration de force artistique et dans ce domaine on garde le souvenir de quelques soirées M.A.D Brains parfaites, conjuguant habilement minimalisme visuel et radicalité musicale.
Pour cette édition 2025, on oubliera très vite ( non sans le regretter) la dimension esthétique de la soirée, gâchée en partie par des projections vidéo dans la grande salle sorties tout droit de la caverne des premières soirées Garnier. Dans le meilleur des cas, et pour être clément, on peut y voir un clin d’œil vintage assumé mais l’élégante austérité qui faisait la marque de fabrique de la maison M.A.D Brains était bien loin et que dire de cette étrange galerie de mannequins Prisunic habillant la scène du club ? Une petite analyse symbolique à l’arrache ne manquerait pas de commenter l’unique tronc-mannequin viril ( comme la proue d’un navire ) entouré de sa ribambelle de silhouettes féminines…man power ?
Peut-être pour cacher ( un peu) un habillage modeste ou négligé, on signalera enfin l’abus de fumigènes dans le club qui durant de très très longues minutes parfois rendait tout simplement impossible de distinguer la scène. Un écran de fumée total, sans une ombre qui perce, là encore l’analyse psychanalytique à deux balles pourrait s’en donner à cœur joie.
Vers 23h, Fred H, en bon capitaine d’un navire à la proue viriliste tient bon la barre avec l’assurance qu’on lui connaît. Deux salles, deux ambiances, comme l’annonce la « com » de la soirée et ce n’est pas de la publicité mensongère. Quelques mètres loin de la sereine scène house du club, la grande salle laisse entendre les furieuses déclarations d’amour techno d’un Vertuøze chargé du warm up. Si les chevaux sont encore maîtrisés, on sent chez lui l’envie et la joie d’en découdre avec cette scène. La présence, en ouverture, de Vertuøze ( le grand chef du collectif Senary) est un signal positif à saluer et prouve,si besoin, la possibilité d’une complicité musicale entre deux collectifs majeurs de la scène caennaise. Vertuøze, conscient des enjeux liés à sa présence, dévoile alors, sans se renier, la force de son style tout en l’accommodant à la sauce M.A.D Brains.
Depuis son arrivée dans l’écurie M.A.D Brains, on attendait Angseth sur un plateau digne de son talent. Une heure durant, il se dévoile à travers un live chatoyant qui glisse entre audaces musicales et pauses rythmiques riches en textures sonores. Une construction aux petits oignons avec une palette sonore qui loin de verser dans le catalogue et les gros bras de la démonstration de force illustre à merveille les attentes d’un live : des surprises et des évidences à travers un parcours inédit et rassurant à la fois. Sur la grande scène, avec un éclairage de face inexistant, on ne voit qu’une ombre chinoise mais on imagine le visage rayonnant de bonheur d’Angseth capable de transmettre au public toute l’énergie d’un live travaillé des heures durant.
Arnaud Le Texier prend ensuite les directions des opérations d’une grande salle honorablement remplie. C’est juste et technique, pro et sans fautes mais au bout d’un moment la linéarité du propos musical fait un peu éclater la relative fadeur d’une autoroute à boum boum sans réelles aspérités. Direction petite salle où Se-Te-Ve conduit un set house de bon aloi dans …l’opacité de son mur de fumée. Lentement le club se vide et vers quatre heures du matin les tracks, pourtant raffinés de Didier Allyne peinent à enjailler une salle au dynamisme morose. Qu’à cela ne tienne, il me reste à entendre le dernier live de la soirée, un live concocté par Bruderschaaft. Le duo, largement commenté et apprécié dans mes billets, maintient le feu sacré du dancefloor à travers une collaboration efficace entre gestion du kick et mise en avant de textures, de boucles sonores qui, sans se renier ou s’annuler, nous invitent à un dernier voyage paradoxalement apaisant. Ça bastonne en kick mais le tout nous est proposé avec assurance et tact, confirmant s’il en était besoin, la place indiscutable qu’occupe Bruderschaaft sur le difficile et périlleux créneau du live techno.
Sans être un échec ou un flop, et en dévoilant l’énergie nouvelle d’un Angseth ou la force tranquille de Bruderschaaft, cette nouvelle soirée M.A.D Brains nous montre la difficulté à maintenir l’esprit d’un collectif et ce après plus de dix ans de bons et loyaux services. À la croisée des chemins, entre un renouveau nécessaire ou la simple gestion des affaires courantes, les enjeux qui pèsent sur ce collectif dépassent la réflexion interne et montrent la difficulté à faire vivre, dans la durée, une réelle aventure musicale. En discutant, ça et là avec d’autres artistes djs on sent bien que la crise de croissance ( ou de survie) devient structurelle et qu’elle mérite une attention politique au risque de la voir s’atrophier et disparaître. Complice plus que jamais avec toutes ces aventures que je tente de chroniquer et d’accompagner depuis des années, je sais que ces lignes en demi-teinte pourraient blesser ou chagriner mais la confiance est intacte et il y a encore bien des réserves d’énergie et de créativité chez M.A.D Brains, et ailleurs aussi, pour espérer une année 2026 …explosive !
