Faute de grives musicales on mange des merles dramatiques …..
Grosse actualité théâtrale cette semaine avec des créations à gogo au CDN et aujourd’hui même un hommage à Michel Dubois ( j’y reviendrai peut-être…).
Aux Cordes c’est le duo Chiambretto-Thommerel qui ouvre la marche avec Îlots, une proposition pour trois acteurs. Autour de la présence toujours aussi lunaire de Jean-François Perrier, deux jeunes acteurs, Julien Masson et Séphora Pondi nous dévoilent, nous énumèrent un questionnaire d’où émerge parfois une question à forte valeur ajoutée poétique comme « Avez-vous déjà mangé un fruit que vous avez cueilli ? ». Certaines sont autant d’adresses directes au public et sont parfois illustrées par un clip vidéo oupar des métaphores dramatiques jouées par les trois comédiens sans qu’on ne sache jamais qui ils sont vraiment. Pas de place pour la fable, pour une intrigue quelconque mais un « numéro » d’acteurs-marionnettes au service d’un texte qui fonctionne en creux, puisque les questions envoyées à la salle sont autant de « balles » politiques plus ou moins mortelles selon la sincérité des réponses qu’on voudra bien y donner. Ça et là quelques moments de vie , comme cet étrange intermède dansé sur une scène devenue pour un temps dancefloor mental, donnent du mouvement et de l’énergie et si l’on ajoute à cela que la représentation était traduite en langue des signes on obtient un spectacle qui coche toutes les cases d’une certaine modernité académique.
Un dernier verre « en musique » aux Trois marches.
C’est donc sous une pluie battante que je quitte jeudi soir les ….Cordes et que je file aux Trois marches pour ce qui s’annonce comme la dernière proposition musicale avant …..quatre semaines. C’était pour moi l’occasion de profiter une dernière fois du passage à Caen d’Angseth avant son retour à Édimbourg. La veille, il avait profité de cette fenêtre de tir pour mixer au No Limit et jeudi soir c’est avec Vertuøze et KTLNTS qu’il se retrouve pour une soirée aussi amicale que délicieusement foutraque. Aux dires de Vertuøze et d’Angseth, ils se pourlèchent à ressortir des pistes issues de leurs débuts respectifs et même si le dancefloor ( réel celui-ci) est tout petit petit, ça gigote bien et le bar se laisse happer par cette ambiance tout en donnant une claque salvatrice à la morosité ambiante qui nous attend, une claque qui finira par un uppercut bien balancé par KTLNTS qui, avec ses vinyls aura su trouver les kicks, les « munitions » nécessaires pour affronter la disette annoncée.
Halloween together : le triomphe du théâtre !
Vendredi soir, toujours dans mon gymkhana théâtral, je file à Hérouville pour la dernière d’Halloween together, un spectacle chaudement recommandé par Interstice.
La lecture du programme ( la bible ) me fait un peu craindre le pire mais les premières minutes de ce spectacle balayent tout tant la magie du théâtre opère comme jamais. Aux manettes, Céline Ohrel dirige et écrit le spectacle, et c’est d’une main de fer. Le propos de la pièce repose tout entier sur la porosité grandissante de la réalité et de son avatar virtuel et on suit donc, au sein d’une famille les effets, forcément « dramatiques » des écrans. Dit comme cela on sent venir la référence Black Mirror à plein nez mais toute la virtuosité du travail de Céline Ohrel consistera justement à revendiquer pleinement cette contamination esthétique pour mieux en révéler la charge dramatique avec les moyens du théâtre. Quatre épisodes donc ( clin d’œil Netflix en sus) durant lesquels on passera d’une situation réaliste, presque vériste ( une jeune veuve et son fils qui maintient artificiellement un dialogue virtuel avec le père-mari ) à une discussion d’après spectacle qui brouillera totalement les pistes de la puissance créatrice à l’origine de toute cette soirée Halloween. Si, au départ, je suis un peu énervé par des comédiens qui sont tous « amplifiés » et dont la voix se perd dans une sorte d’écran sonore sans profondeur, je comprends très vite que cela participe d’un brouillage des pistes qui laisse le spectateur pantois devant la question de qui est vivant, qui est mort, qui est réel, qui est virtuel ? Cette mécanique dramatique est toute entière tressée dans un texte aussi efficace que poétique et c’est un vrai plaisir que de retrouver ( enfin) ce théâtre de situation ( comme le disait Sartre) dans lequel, presque avec un plaisir sadique, le spectateur observe les conséquences inévitables, donc tragiques, d’une situation de base. Quel plaisir que de renouer avec une vraie intrigue, « a good story » comme le disait Orson Welles, quel plaisir que de voir des acteurs investis et qui osent ( sacrilège dans une certaine modernité théâtrale) l’incarnation ! Certes, il y a peut être quelques petites longueurs ( le spectacle dure 2h20 sans entracte) mais Halloween Together développe, à tout instant, des images qu’on croirait sorties directement de l’objectif de Gregory Crewdson ( si vous ne connaissez pas filez immédiatement sur internet ), il tisse si habilement, mais en toute accessibilité, un tel réseau de sens et de poésie qu’on en ressort émerveillé et rassuré quant à l’efficacité de cet art millénaire qu’est le théâtre. Car si la pièce s’attaque à la réalité virtuelle, si elle use ( sans abuser) de la vidéo, elle s’appuie avant tout sur la dynamique ancestrale du théâtre, c’est à dire sur la force non pas de l’image mais du verbe, un verbe ici magnifié et glorifié par une langue aussi simple qu’inspirée. C’est encore dans cette vieille casserole qu’est le théâtre qu’on fait les plus belles fictions et Céline Ohrel le prouve dans son éclatante réalisation !