Après quelques semaines de teasing autour du lieu mystérieux qui accueillerait cette inédite soirée Morphée, on avait enfin la réponse. Va pour Creully donc et son château, du XIIe siècle, rien que ça ! Avant de découvrir la transformation clubbing de la salle voûtée du château, les responsables accueillent le public avec une vidéo (merci pour le clin d’œil à Uhme) où une voix synthétique nous livre les préceptes de la soirée, et surtout, la signification de ce Morphée qui pourrait nous inviter plus au sommeil qu’à la fête : Musique Originale Rythmée Par Harmonie Émotionnelle Éclectique, un acronyme qui nécessitait bien qu’on aille vérifier sur place…
Le château de Creully donc, et ses deux belles salles voûtées tout en longueur. On ne capte rien sur son téléphone, enfermé dans ces épaisses murailles et pour compléter cet isolement numérique quelques pastilles soigneusement collées sur les objectifs du téléphone nous donne ce frisson ( un peu éventé ) berlinois .
La soirée restera pourtant bien sage et on est bien loin de quelques « kolossal » débordements lubriques à la sauce curry wurst, ce qui, ce qui, après tout, est assez réconfortant.
Vers 21h30, la salle encore vide laisse pourtant entendre l’extrême difficulté à sonoriser un espace aussi minéral. Le défi était de taille et il est en très grande partie gagné avec un son assez flatteur et si on oublie le commentaire musical de quelques vitres qui, sous certaines fréquences bien précises, se mettaient à claquer la cadence, on obtient un cadre propice à accueillir les dieux et les déesses de la nuit. Pour habiller l’austère froideur du lieu, une autoroute de leds, de part et d’autre de la salle conduit naturellement notre regard vers la scène et sa « bouche » géométrique grande ouverte. Quelques « projos » complètent l’ensemble et cela ressemble, ma foi, à un club dans sa version teuf chez les chevaliers.
Je retrouve, en début de soirée. La frêle et élégante silhouette d’Ora Bora, disparu pour un temps du paysage caennais. Avec lui s’installe un délicat tapis de sonorités chatoyantes bousculées avec soin par d’habiles coups de kicks au derrière. Le tout est fait avec cette nonchalance un peu aristocratique qui caractérise si bien l’approche musicale d’Ora Bora.
S’il est bien un artiste que je me réjouissais d’entendre c’est Matti, précédé par les chaudes recommandations d’un ami qui le tient pour une des personnalités montantes de la scène musicale locale.
Alors on écoute très sérieusement cette proposition aussi tonique que construite. Tout débute avec la trépidation frénétique d’un marteau qui grave dans votre tête l’appui rythmique, la toile de fond d’un paysage qui va se dérouler sous vos yeux et vos oreilles. Ensuite, et avec une grâce qu’on n’attend pas nécessairement d’un si jeune artiste, on se plaît à entrer dans une logique de soustraction et d’addition de boucles sonores qui prennent un temps calibré à la seconde près pour disparaître ou s’imposer. Un peu comme un pianiste virtuose qui jouerait sur la nuance de chaque touche, les boucles entrent en scène et chacune d’elles bénéficie d’une attention amoureuse qui force notre écoute par l’originalité de sa puissance ou de sa douceur.
Il y a quelques années ( Cave Caenem aura bientôt huit ans et, chut, un événement festif se prépare à cette occasion) je découvrais le tout jeune Mac Declos et j’osais écrire …qu’il irait loin. Puissent mes prédictions être aussi performantes pour ce Matti si généreusement servi par les muses de la techno.
SPRNS, ma muse à moi pour le spectacle Uhme, prend le relais et ne fait qu’une bouchée d’une salle qu’elle enivre avec un inédit cocktail musical mais où les connaisseurs retrouvent, en arrière plan, sa science débridée du cocktail techno.
Clin d’œil amical au puissant collectif Dox’Art, les organisateurs ont proposé à Ultimatom de dormir dans le lit de Morphée et le moins qu’on puisse dire c’est qu’avec lui on va avoir du mal à rester sous la couette. Les murs millénaires en tremblent encore et c’est sous une débauche de basses qu’il envoie son set en jouant (trop ?) avec la montée artificielle du BPM, histoire de faire passer, parfois en force, une petite voix house pour une cavalerie rugissante de teufeuses en pleine montée …stupéfiante. C’est clair et carré, on aime cette approche à la hussarde et dans un château qu’espérer d’autre qu’une pacifique mais tonitruante musique guerrière ?
Après le cri primal d’Ultimatom, on pouvait se demander comment Angseth allait pouvoir reprendre la main avec sa performance live. On le sait habile à construire des volutes mélodiques et son nouveau coup de poker fait mouche à nouveau. Tout commence par un appel wagnérien de la tribu techno. Un petit geste de la main, comme pour nous dire : ne vous inquiétez pas, vous allez avoir votre dose ! Et c’est parti pour un tour de manège. A peine pense-t-on avoir le pompon qu’il vous glisse entre les mains pour filer entre les pattes d’une nouvelle cadence. Sous un habillage qui respecte les codes basiques imposés par son prédécesseur, il étage en permanence deux univers où la froideur du kick dialogue avec de petites boucles harmoniques qui donnent toute la perspective et la profondeur de son discours.
Pour ma part, Morphée aura triomphé dans toute l’ambiguïté de sa double mission mythologique. Il est à la fois le fils de Nyx, ( la nuit) et d’Hypnos ( le sommeil). Triste de voir que c’est Hypnos qui parlera en dernier, triste de ne pas entendre le guest mystère ( je ne spoile pas) et triste enfin de n’avoir plus la force d’écouter le set de Kloster. Si je veux pouvoir encore m’enjailler sur d’autres soirées aussi généreuses que celle-ci, il me faut ménager ma monture.
Je ne quitte pourtant pas ce billet sans un nécessaire et sincère repentir. Depuis longtemps Léo V-k installe son petit salon de maquillage dans les plus belles de nos soirées. Il occupe une place essentielle et c’est grâce à lui qu’on peut retrouver la douce folie de ces visages fleuris ou guerriers ( mention spéciale pour le motif cyber punk dessiné sur un crâne qui n’attendait que cela) qui nous transportent du côté de Goa ou ailleurs. Il me fallait réparer cet oubli !