On sent pointer la brise d’un vent nouveau sur la scène electro locale et la dernière initiative de Senary fait, incontestablement, partie de cet esprit qui tente une nouvelle fois de faire du neuf avec du vieux.

Avec cette soirée Versus, le collectif remet au goût du jour le vieil esprit du radio-crochet, vous savez ces émissions où les hurlements enthousiastes ou colériques du public poussaient un chanteur vers la sortie ( avec un crochet !) ou en faisait une star comme notre bonne vieille Mireille Mathieu en 1964. 

De l’eau a coulé sous les ponts depuis et cette forme un peu populiste de sélection n’avait plus vraiment la cote. 

Aujourd’hui c’est avec un compte Instagram que ça se passe et c’est parti avec trois duels musicaux. Pour mettre en scène cette amicale compétition, le plateau du Portobello est habilement transformé en un ring de boxe, jusqu’à cette paire de gants qui tombe des cintres et qui semble nous dire que ça va cogner ! Histoire de renouer encore un peu plus avec l’esprit Radio Luxembourg des années 50-60, un animateur de soirée ( pour faire plus moderne on dit MC), Anemador, nous explique les règles minimales de la bataille et chauffe la salle. 

Premier round musical avec le dj Polö qui affronte le dj Lamy. Se posent tout de suite des questions purement techniques qui trouveront leurs réponses au cours de la soirée : comment permettre au public de clairement identifier qui joue ? Interventions du MC à chaque changement : le procédé serait poussif et scolaire. Utiliser un jeu d’éclairage ? Un code couleur ? Il y aura un peu de tout ça et il faut bien reconnaître ça fonctionne et qu’il sera de plus en plus facile de s’y retrouver même si les djs auront parfois du mal à quitter un peu les platines quand ils sont en mode « écoute », ce qui brouille un peu l’écoute ( contrepèterie usée jusqu’à la corde mais qui retrouve ici un bain de jouvence) .

Évidemment l’ambiance n’est pas la même avec une salle presque vide et les deux premiers djs essuient un peu les plâtres dans une compétition encore bien sage. On se prend pourtant très vite à écouter différemment, à traquer les différences ou les fautes, à tenter de comprendre pourquoi le rouge (Lamy) vous flatte un peu plus l’oreille que le bleu ( Polö), une variation mélodique ? Un kick un peu plus subtil, des boucles sonores moins lisses ou qui sait plus rugueuses ? Avec cette première battle on débute déjà sur de la techno survitaminée en bpm, et j’avoue que pour cette première édition de Versus j’aurais préféré une entrée en matière plus reposante mais c’est l’écurie Senary qui se prête à ce jeu et on sait à quel point elle donne rarement dans le Chill de goûters pour bobos. On juge aussi un dj dans sa capacité à renverser la salle et quand la salle est presque vide, cette composante essentielle, surtout quand elle s’accompagne d’un tempo attendu vers trois heures du matin tombe un peu à plat. Mais si Versus parvient à s’inscrire dans le paysage, nul doute que le public viendra plus tôt pour entrer immédiatement dans l’esprit de la compétition. 

La salle finit pourtant par se remplir et le premier combat de Titans se dessine avec Vertuøze ( en rouge) qui se frotte à Greeds ( en bleu). On peut faire confiance à Vertuøze pour animer son nouveau projet Versus et il se livre à corps perdu dans de très efficaces « putasseries » sonores pour conquérir notre vote, c’est drôle et si on ajoute à ça toute une série de petits gestes théâtraux censés « humilier » l’adversaire on obtient la recette parfaite d’une petite comédie musicale plaisante. En face de lui, Greeds, en mode clown blanc, reste imperturbable et ne répond à aucune des provocations ( on sent que la distribution des rôles , entre l’Auguste et le clown blanc a été parfaitement organisée). Aux déversements baroques de breaks, de filtres il oppose un flegme qui mine de rien fait mouche par moment. Comme la salle est pleine et le public bon-enfant, les deux djs peuvent immédiatement observer l’efficacité de leur set et corriger le tir, en radicalisant ou diminuant quelques coquetteries. Pour le dire le plus simplement possible, Versus est une excellente occasion, si on se prête au jeu, pour écouter avec une attention toute neuve cette musique et plus encore pour tenter de trouver ses propres critères de choix. Au final, on reste dans les jeux du cirque avec un vainqueur et un perdant mais ce n’est pas tant le résultat qui est surprenant ( très souvent un 53-47 % plus normand que jamais) que la dynamique nouvelle d’écoute que nous impose le procédé. Mine de rien, sans cette horrible prise de tête qui n’est plus au goût du jour, c’est à un petit moment d’éducation culturelle et musicale que nous assistons…

Le dernier round, comme pour mieux respecter la vedette américaine, Æven, qui se plie au jeu, met en place un dispositif différent avec des temps de passage plus longs et bornés entre DJ Ony ( en bleu) et notre Æven cagoulé en rouge, histoire de bien nous faire comprendre la couleur. Là encore la distribution des rôles ( clown blanc, Auguste) est respecté et c’est un DJ Ony bien concentré qui ouvre le feu tant il semble savoir qu’il a en face de lui l’indomptable zébulon des breaks et de la phrase musicale qui tue ! Combat de chefs, démonstration de qui a la plus grosse, complicité faussement hostile pour un temps, tout y passe et c’est la loi du genre. La salle réagit et elle le fera certainement encore plus lors des prochaines Versus, mais cette « première » de Versus donnait à voir toutes les possibilités spectaculaires du dispositif. Pour ne pas tomber dans une forme de routine ou d’épuisement musical ( on était tout de même dans une très (trop) grande homogénéité artistique) il faudrait que Senary veuille à mélanger les genres avec plus de force et qui sait, oser défier cette omnipotence de la techno boum boum à la trop discrète house locale. En tout cas Versus aura fait le job et donné à ce début d’année une dimension ludique et festive indéniable. À quand la prochaine ?

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