Le théâtre dans un …canapé, ça donne quoi ?
….Je n’ai jamais chanté ni la paix ni la guerre ;
Si mon siècle se trompe, il ne m’importe guère :
Tant mieux s’il a raison, et tant pis s’il a tort ;
Pourvu qu’on dorme encore au milieu du tapage,
C’est tout ce qu’il me faut, et je ne crains pas l’âge
Où les opinions deviennent un remord.
Alfred de Musset, extrait de la dédicace en ouverture à sa pièce La Coupe et les lèvres.
Il y a presque deux siècles maintenant, Musset se lançait dans son aventure théâtrale et poétique : Un spectacle dans un fauteuil, un ouvrage (1832) qui réunit dans un même livre une dédicace, une tragédie, une comédie, et un poème. Il répondait, avec ses armes de poète, à la crise purement esthétique que connaissait alors le théâtre. En 2020, le canapé remplace le fauteuil, le livre s’efface devant l’écran et la seule question qui se pose est la suivante : sommes-nous encore dans une proposition théâtrale ?
Commençons par rappeler les faits. Depuis mercredi soir, la Comédie de Caen diffuse, gratuitement, la nouvelle création d’Olivier Lopez, jouée et présentée en direct au 24, rue de Bretagne, l’ancien Panta théâtre.
Des comédiens donc, une scène, des gradins (vides) et un texte imaginé par Olivier Lopez. Le streaming, (la diffusion) débute à 21H et le spectacle dure 1H 30. Le titre du spectacle : Rabudôru, poupée d’amour.
Il est 21H 03, mercredi soir, et je suis chez moi, dans mon …canapé, l’ordinateur sur les genoux, la diffusion commence par le visage d’une comédienne (Laura Deforge) qui semble s’adresser à un public, une foule peut-être, que nous ne verrons jamais. Ce prologue, au sens presque tragique du terme, installe d’emblée la situation : des employé(e)s d’une usine de poupée doivent se prononcer sur la nouvelle orientation stratégique de la société qui les emploie. Il est question de produire désormais des “sex dolls” ( en gros des poupées à taille humaine et plus vraies que vraies ). En bon dramaturge sartrien qu’il est, Olivier Lopez déroule ensuite les conséquences, tragiques, forcément tragiques, de cette situation initiale.
Comme je suis sur mon ordinateur ( multi-connecté, il va sans dire) les divertissements sont nombreux, clic de mails, sonnerie de sms, la concentration est difficile et ce n’est pas la plus simple des réussites de ce spectacle que d’avoir réussi à me maintenir devant mon écran, peut-être parce que je sens bien que derrière le petit événement médiatico-artistique caenno-caennais se cache un véritable bouleversement ?
Le dispositif de diffusion est optimal (trop, peut-être). Aucune coupure, un son clair et précis, avec même la perception réelle de la profondeur de la scène et des angles de prise de vue fouillés et parfois porteurs d’une réelle plus-value cinématographique. On est très loin de la simple captation et en soi c’est déjà là une première réussite, ou une première interrogation.
Sur la construction dramatique de la pièce ( car pièce il y a, sans aucun doute), on navigue un peu entre la tentation d’un sit-com pour Arte, et le théâtre du quotidien cher aux années 70, tendance Michel Deutsch. On va donc suivre cet espace de collision entre la grande histoire économique ( la bourse, les syndicats, la mondialisation) et la petite histoire intime d’un jeune couple qui vit encore avec un vieux père, gâteux par moment, et qui menace de partir en voyage avec sa poupée, devenue entre temps un substitut thérapeuthique pour soigner sa démence, offrant à la société une chance possible pour légitimer socialement ses poupées. Loin de moi l’envie de divulgâcher la fin, mais Lopez tire avec finesse les fils essentiels de cette trame, en oubliant cependant trop vite à mon goût la provocation sexuelle et donc morale de la poupée elle-même.
Mais sommes-nous au théâtre ? Sommes-nous en face d’un avatar de théâtre, d’une nouvelle forme de spectacle ? Rappelons, une fois encore, que la diffusion d’un streaming lors du spectacle était inscrite (avant la crise sanitaire) dans la logique de création d’Olivier Lopez, et que cette diffusion n’est donc pas une réponse, dans l’urgence, à notre nouveau confinement. L’équipe de création, au lendemain de cette “première” à plus d’un titre, annonçait le chiffre de 600 spectateurs. Il faudra peut-être inventer un nouveau terme pour désigner l’état qui me caractérisait mercredi soir : spectateur, consommateur, théâtro-mateur, que sais-je encore ? En bon vieux sartrien que je suis, j’attends du théâtre une situation (une crise ?) dont la résolution se trouve enfermée dans cet espace physique (et mental) qu’est la scène, tout en n’oubliant pas ce bon vieux (encore un) quatrième mur, une très vieille convention qui me place moi, le spectateur dans la position, obscène parfois, du voyeur qui regarde par le trou de la serrure et désormais, par le biais d’un écran. Le malaise, s’il existe, n’est donc pas tant dans la théâtralité de la proposition d’Olivier Lopez, mais bien plus dans sa radicale perfection. Il n’est pas le seul, mais à l’échelle de notre petite province, on aura rarement vu une telle maîtrise technique ( et dramatique) au service d’un spectacle diffusé en streaming. C’est “pro” de bout en bout de la chaîne créative, “pro” dans les éclairages, “pro” dans les cadrages, dans les changements subtils du décor, “pro” dans le jeu des acteurs, avec une mention très spéciale pour Alexandre Chatelin, le jeune homme qui va un peu, beaucoup, se compromettre avec le grand Kapital. Son jeu, extrêmement précis impose un rythme certain à la pièce tout en s’attachant à donner une dimension réaliste (presque vériste) qui peut parfois presque penser à une “docu-fiction” mais qui ne sombre jamais dans la caricature du “boy next door”.
Une réussite formelle donc mais si on enlève, en pure hypothèse intellectuelle, la dimension “streaming” à Rabudôru…. Bref si l’on s’attache prioritairement à analyser le spectacle théâtral dans sa millénaire dimension artisanale, qu’en serait-il ?
Je me garde bien de répondre, et ce pour de multiples raisons, peut-être par lâcheté amicale, plus encore parce que, tout simplement, je n’ai pas vu le spectacle en salle ( condition dans laquelle j’aurais certainement mieux compris le jeu très “littéraire” de Laura Deforge ). En revanche, ce dont je suis persuadé, ce dont je suis sincèrement persuadé, c’est que j’ai participé, bien au chaud, depuis mon canapé, à un réel événement artistique, technique et sociétal ( je déteste ce mot mais je n’en trouve pas d’autre). Il reste deux soirs pour vous faire votre propre opinion, mais à 21H, il se passe, dans un tout petit coin du net, quelque chose d’inédit et de …vivant. Ce n’est certainement pas l’avenir du théâtre classique, mais c’est du théâtre… moderne, inventif et généreux. Ne faisons pas porter à cette initiative le poids des questions et des enjeux énormes qui pèsent en ce moment sur le monde du spectacle. Mais il n’y a pas trahison, ni compromission, tout juste la tristesse de ne pas fumer ma clope sur le parvis du théâtre tout en livrant, plus ou moins habilement mes premières impressions, la tristesse de ne pas partager… Je me délivre un peu de cette tristesse avec ce billet, mais nous avons bien de la chance, à Caen, d’avoir des artistes, des artisans de la scène et du spectacle qui respirent encore avec une telle fougue créative.
Oui, une belle performance, mais j’attendais tellement de la dame en silicone. Bref, c’est assez réussi parce-que “ringuardisé” à souhait dans l’esthétique du verbe déplacé et replacé. La fausse brillance de la dialectique économique d’une autre époque ravalée pour l’essentiel à coup de bistouris. Mais, Halliday qui devient le représentant iconique de la vieillesse garçonne, ce n’est pas suffisant. La relation entre la poupée et le vieillard manque peut-être d’obscénité, le reste aussi. C’est trop bien, trop juste, trop moral.