Un an déjà ….
Le premier mars 2020, je rédigeais mon dernier billet concernant un événement “electro” à Caen. Il s’agissait d’une belle soirée autour de Tommy four seven proposée par le Cargö. C’était il y a tout juste un an, autant dire un siècle ! Même si la nuit bruissait de folles rumeurs d’où s’échappaient des mots encore inédits ou exotiques, Wuhan, coronavirus, confinement, on était loin d’imaginer ce silence qui allait s’abattre sur la scène caennaise, la scène française, la scène européenne, la scène mondiale…
Quelques semaines après, entre des applaudissements à 20h, vite oubliés, des “live” au balcon et des sets sur Facebook, vite censurés pour des questions de droits d’auteur, on s’installait dans un fatalisme qu’on pensait encore momentané, ragaillardi en partie par quelques échappées sonores en provenance de quelques bars qui, en juin 2020 bravaient le rigorisme sanitaire en nous proposant de rares et nécessaires petits sets.
Et depuis… plus rien, un silence mortel s’est abattu sur la scène caennaise, avec, tout au plus, comme une dernière bouffée d’air avant le plongeon fatal, une soirée assise, le 3 octobre dernier, histoire d’entendre Veik…
Comme il est douloureux ce silence, et comme elle prend “cher”, cette musique “electro”, renvoyée, dans le pire des cas, à son satanisme supposé. On me répondra que c’est tout le monde de la culture qui vit depuis un an sous les coups anonymes et mortels de ce silence prophylactique ; qu’il est plus qu’urgent de ne pas ne pas baisser les bras ; qu’en juin 21, en septembre 21, qu’en 22 qui sait on repartira, comme en quarante ?
Mais comme il est douloureux pour moi ce silence et si ça n’était pas aussi impudique je parlerais ici de ses larmes, de cette rage que je ne parvenais pas à retenir hier en poussant presque à ses limites mon ampli pour écouter un morceau de Tim Engelhardt, Idiosynkrasia, osant à peine me demander quand je pourrais à nouveau PARTAGER le plaisir de la découverte d’une telle piste ? Un an donc que cela dure avec, en plus, cette mauvaise conscience de savoir que de le dire ainsi, c’est ajouter de la peine et du tourment, c’est nourrir le poison de l’amertume et de la plainte stérile.
Onto records et le “baume” de Sébastien Radiguet …
Onto records, “le” label caennais à suivre, a le nez creux en ce mois de février 21 puisqu’il nous livre la production balsamique d’un jeune pianiste : Sébastien Radiguet . Baptisé Lentomania, l’album de Radiguet propose 7 pistes où dominent les notes éthérées d’un piano sous Lexomil. Dit comme cela on pourrait presque fuir et les premières notes de Insulated soul, la première piste nous donnent peut-être envie de passer outre, tant on pense baigner dans une “énième” relecture de l’esprit “Satie” ou Debussy, version La plus que lente, même si c’est Ravel qui explose ici. Ce serait pourtant une grave erreur que de s’arrêter à cette première impression tant le travail de Radiguet, tout en finesse “ambient” et en mélodies “impressionnistes” nous plonge dans une atmosphère douce et chaleureuse. Les pistes se suivent et laissent entendre un subtil travail d’échos harmoniques toujours encadrés dans un écrin de boucles électroniques aussi planantes que délicates. On voit bien les figures paternelles qui sont derrière le travail de Radiguet, Nils Frahm ou Jóhann Jóhannsson en tête, mais il se dégage de ce premier album une telle sérénité tranquille que j’en ai fait mon “pansement” musical de ce dimanche. On dit, ( à tort parfois) que la musique adoucit les moeurs, en paraphrasant les paroles de Platon, lui qui disait : “ Et quand la raison vient, on l’embrasse et on la reconnaît comme une parente avec d’autant plus de tendresse qu’on a été nourri dans la musique. », elle adoucit peut-être les moeurs, mais elle est surtout un baume essentiel pour supporter la médiocrité de notre époque et tutoyer, parfois, les Dieux d’un Olympe sans Covid.
Un an déjà que je suis privé d’une écoute “sociale” de la musique que j’aime, mais pour quelques heures, les notes diaphanes de Radiguet laissent échapper les formes encore floues d’un espoir, et rien que pour cela, je me devais d’en rendre compte. Merci à Onto records de poursuivre ainsi, en toute discrétion mais non sans exigence, un travail de découverte et de diffusion exemplaire.