Avec le retour des beaux jours, on assiste aussi à la (re)naissance des festivals. Au rayon des nouveautés Nord Fiction, un festival “electro” dans la Manche, et plus précisément à Ecausseville, sur le site même du hangar à dirigeables, un site classé “monuments historiques”. Sur le papier, on ne peut que se réjouir, d’autant qu’on nous promet une immersion culturelle avec musique, installations vidéo, performance, bref de quoi nourrir la tête et les jambes durant deux jours.
Vendredi soir, vers 21, il fait encore chaud, et sur place, l’ambiance est …en cours de construction. Qu’à cela ne tienne j’en profite pour découvrir les lieux, et bien évidemment le clou du “spot”, le hangar à dirigeables. Si, de l’extérieur, le bâtiment en impose, ce n’est qu’à l’intérieur qu’on se rend réellement compte de son gigantisme. Il en faut du talent, et de la matière pour investir un tel espace. Le regard est très vite attiré par un décor de cinéma, la façade, gothique en diable, version Grant Wood, d’une église américaine. Pour un peu, on en viendrait à croire que Lars von Trier va tourner son film. Derrière l’église, envers du décor oblige, les artistes dénoncent l’illusion, le trompe-l’oeil surgit. Plus loin trois écrans servent de cadre à un espace chill d’autant plus accueillant que le public semble s’y désintéresser, et, entre éléments primaires ou alchimiques ( eau, terre, feu…) défilent des images, parfois grandiloquentes, accompagnées d’une voix masculine. C’est plaisant, vaguement poétique avec cette toute petite pointe de prise de tête chic. Enfin, dans la dernière partie, on voit trois gros ballons qui, dans les airs du hangar, vont dévoiler un show lumineux, leds et persistance rétinienne à l’appui, pour une boule à tango 2.0 efficace. Le contrat artistique est rempli si l’on ajoute à cela une prestation video-musicale de quatre artistes qui ont eu la bonne idée de reproduire, en version liliput, le hangar et d’en faire ainsi une boîte à projection aussi fantasque que minimaliste. Gros gros bémol de toute l’entreprise, le hangar ferme ses portes à 1H du matin, alors même que le festival commence enfin à vibrer (un peu). Les organisateurs justifient ce choix par les contraintes du monument lui-même ( historique) et les craintes de vandalisme, mais cela frise tout de même la publicité trompeuse puisque la dynamique même de ce nouveau festival semble reposer sur l’attractivité et la magie de ce hangar. Un gros bémol à revoir de toute urgence dès la seconde édition …
A la droite du hangar, une première scène, baptisée le Ring, enserre le public attendu dans un ….ring, ou plutôt une structure métallique ronde qui porte à la fois les éclairages et des rideaux blancs qu’on aurait cru pensés pour du mapping video même s’ils resteront vierges de toute projection. De 21h à 23 H, Dr Helfa gère le warm-up devant une scène bien vide encore et laisse entrevoir le gigantisme du dessein des organisateurs. On semble attendre du monde et l’espace du festival est bien grand (comme le hangar). Dr Helfa, que je retrouverai avec plaisir mardi sur le spot de Senary lors de la fête de la musique, déroule avec rigueur et justesse une longue entrée en matière.
En matière de programmation musicale, il me sera assez difficile de comprendre un peu la logique de programmation musicale de cette première soirée puisque derrière les boucles rythmiques de Dr Helfa on est happé par les très très oldies réminiscences “new wave” de La Muerte, genre j’ai pris par mégarde ma DeLorean vers les années 80. Why not, mais sans surprise. Puis, la Belgique encore, avec Ascendant Vierge et cette tentation lyrique ( techno lyrique ?) qui sort des lèvres de la chanteuse du groupe. Ça sonne “festival”, genre Mylène Farmer sous acid, là encore, why not. Après le “live” frénétique ( et lyrique, forcément lyrique) d’Ascendant Vierge, la dj Azo se retrouve bien seule, pendant plus d’une heure dans un ring qui ne semble pas être captivé par son inspiration “clubbing” hivernal.
Qu’à cela ne tienne, je retourne vers la deuxième scène, un peu cachée derrière le hangar. Pour ouvrir cette scène, la méthodique Soyoon distille avec lenteur un set qui prend le temps et qui nous invite à une sorte de “cabotage” musical non sans risques dans de longues et sculpturales transition. C’est fin, habile et convaincant.
Roy Perez prend le relais sur cette scène baptisée Minard où le bois brut redessine, là encore, la voûte du hangar. Roy Perez, en bon vieux roublard de la scène electro qu’il est, gère avec la désinvolture du mec à qui on l’a fait pas un set délicieusement bordélique, entre Panorama et Tel Aviv beach gay club. Rien de bouleversant ou d’inédit mais l’efficacité ( festive ?) est là, que demander de plus semble dire le public….
Un peu à la même heure ( vers 2H30) les deux premiers poids lourds entrent en scène, Helena Hauff sur le Ring et Voiron sur la scène Minard. Techno indus post-punk pour l’une et roublardise et breakbeat déconneur pour le second. On entre (enfin) dans le vif du sujet avec des propositions pertinentes pour un festival qui entendrait se positionner sur un segment un peu moins généraliste même si les deux prestations ne sortent pas réellement d’un calibrage, artistique, certes, mais un peu trop contrôlé.
Entre les deux scènes, je ne peux passer sous silence le Village électrique et sa bande de freaks déjantés. Dans une belle et onirique proposition ( la foire à l’ancienne) on retrouve, en cercle, des stands de voyance, de chamboule tout, de kermesse et pour couronner le tout, en hauteur, un pupitre de dj pour ambiancer cette kermesse qui s’amuse. La programmation musicale oscille entre la fête à Neuneu et radio FG du bocage mais le public en redemande au point qu’on en vient presque à se demander si ce n’est pas là le clou du festival, loin des aspirations “branchées” du reste.
Impressions mitigées donc pour cette première nuit à Nord Fiction : un lieu prometteur, une organisation efficace mais une politique générale à affiner au risque de ne pas être à la hauteur du “monument” qui l’héberge. On nous parle du retour du dirigeable, alors tout reste possible.