Entendus au lendemain de cette édition 2022 de la Fête de la Musique : “ Tu devais être content, il y avait de l’electro partout !”. Et il est vrai qu’une simple virée à Caen hier soir devait donner cette impression. Au château, église Saint-Pierre, place saint-sauveur, rue Ecuyère, place Bouchard ….toujours cette même sensation  de passer d’un “boum boum” à un autre, mais derrière cet apparent triomphe d’un genre musical se cache une situation plus complexe.

La grande désillusion de la vallée des jardins.

Annoncée, nuancée, puis finalement annulée, l’initiative de cinq collectifs musicaux qui devaient envoyer du “son” vallée des jardins a déjà fait couler beaucoup d’encre. Il est vrai que c’était la seule véritable nouveauté, de par son ampleur et son lieu insolite et inédit. D’obscures et peu convaincantes décisions administratives en auront décidé autrement, obligeant, in extremis, un repli plus ou moins libertaire de certaines associations devant les murailles du château, presque en face de l’ancienne Drac. On se retrouve ainsi avec ce paradoxe qu’il faudra bien gérer : une ville qui “sonne” résolument electro ( au plaisir ou déplaisir de la foule, c’était un fait indéniable hier soir) et des tracasseries en série pour les artistes de cette musique. Résultat des courses de cet imbroglio : de charmants spots minimalistes éclatés où j’aurai pu entendre Elzeden, en pleine forme musicale et juste à côté Potzer, animé d’une fougue musicale impeccable. Le repli vers ces “catacombes” improvisées à l’arrache ne semble pas avoir entamé la force du discours artistique mais quel retour en arrière institutionnel là où l’on pouvait espérer un véritable événement novateur, l’année prochaine, qui sait ?

Dans le rayon des “spots” traditionnels, on retrouve avec grand plaisir cet espace “underground” derrière l’église Saint-Pierre, toujours aussi propice à tous les délires musicaux et festifs. Cette année encore c’est le collectif Senary ( associé à Bear PM) qui occupe les lieux, avec le duo Vertuoze et H.Co qui arrose la foule de sa folie communicative. Le dialogue entre les deux artistes se construit d’abord et avant tout sur les propositions de plus en plus débridées de Vertuoze. Je laisse un peu les deux lurons pour aller quelques pas plus loin retrouver le stand des Ragondingues ( à la Station) ou Adventice Family ( je peine un peu à suivre les appellations de ces joyeux lurons). Depuis qu’ils ont investi ce lieu, on a presque l’assurance d’y retrouver une ambiance aussi éclectique que chatoyante. Ce qu’il y a de merveilleux avec ce collectif ( et sensible plus que jamais hier soir) c’est cette énergie généreuse, sans “prise de tête”, mais avec toujours une rigueur musicale indiscutable. Loin des projecteurs, mais avec constance, ils construisent une aventure musicale sincère, jubilatoire et la bonhomie enthousiaste qui se donnait à voir hier soir en témoignait une fois encore. 

Retour nécessaire chez Senary pour enfin entendre dignement  Dr Helfa ( en duo avec Hoffmax). Vendredi soir dernier, je compatissais un peu avec elle en l’entendant déployer son art devant une dizaine de festivaliers à Nord Fiction. Hier, l’ambiance est toute autre, il faut dire que les deux chauffent l’ambiance avec un set qui ne donne pas dans le “chichi”. Ça balance sévère devant une centaine de personnes qui n’attendent que cela. Il faut dire que lieu, avec sa cage de résonance naturelle, est idéal si l’on ajoute à cela une “scène” et un dancefloor aussi inespérés qu’évidents. 

La Fête de la musique est pour moi le seul moment où je m’autorise une sorte de zapping musical, là où d’habitude je me force à écouter un set en entier pour tenter d’en comprendre la logique et la construction. Mais n’est-ce pas la logique même de cet événement que de “butiner” ainsi, au gré des propositions, des habitudes et des découvertes ?

Le circuit traditionnel.

En remontant la rue saint-Pierre, vers 21h, j’ai l’impression d’une foule moins compacte que d’habitude, impression très vite confirmée par les diverses rencontres qu’occasionne cette longue nuit. Il faut dire aussi que les propositions sont plus étalées que jamais, du Conseil Régional à la place saint-Sauveur, il y en a partout. 

Place Bouchard, je retrouve avec plaisir Jalien (Zinké) avec lequel j’avais eu la chance de créer un petit événement inédit lors de la FDLM de 2019. Il est tout heureux et fier de me montrer sa fille de 15 ans, Ozéa, qui s’éclate comme une folle, mais non sans charme, derrière les platines de papa tout en balançant un son groovy et péchu. Les chats ne font pas des chiens…

Place saint-Sauveur, on peine un peu à comprendre ce qui se passe tant le son semble venir de partout mais mon regard est happé par un dj ( inconnu à mon bataillon) qui du haut de son balcon central, et derrière une banderole Didascalie Music balance un son aux couleurs “ club chic, champagne et rolex” incongrues. C’est aussi cela, la fête de la musique, des artistes qui se font “plaiz” dans l’indifférence générale mais avec une rage incontestable.  La pérégrination musicale se poursuit avec une pause très “80” devant chez Paulette d’où s’échappent de belles bouffées nostalgiques new wave, là encore devant un public plus occupé à siroter son spritz qu’à partager sa fièvre musicale. 

Aux Déserteurs, Fulgeance officie devant son public et il faudrait un sociologue plus avisé que moi pour analyser finement ces communautés qui se forment presque naturellement devant telle ou telle proposition musicale. Hier soir, on pouvait constater une fois encore la faible porosité ( curiosité) des spectateurs dont on pouvait presque deviner devant quel lieu on pourrait les retrouver, mention spéciale pour la foule devant la Tour Leroy, aussi cohérente que peu métissée sociologiquement. Et dire qu’on croyait que la musique unissait les gens ! 

Depuis de nombreuses années, il m’est impossible de ne pas “me” finir devant la pharmacie Danjou et l’incontournable scène M.A.D Brains. Au-delà même de la certitude d’y passer un moment musical indiscutable, je dois bien reconnaître qu’hier, avec la prestation “live” de Bruderschaaft, j’ai eu la chance de participer à un véritable événement. On sait l’admiration que j’éprouve pour ce duo aussi rigoureux qu’exigeant, mais hier soir, dans un moment d’une rare intensité, ils ont livré une prestation digne des plus grandes scènes festivalières. Une heure de pure folie technique et narrative durant laquelle ils auront tissé une toile musicale qui n’a cessé de déployer son chatoiement. Un fil rouge rythmique, tenu de bout en bout dans sa plus radicale simplicité sur lequel se greffent des boucles mélodiques oscillant entre tentation “ambient” et assurance “techno”, cela ne se boude pas. Si on ajoute à cela un public visiblement inspiré et connaisseur (et toujours, pourquoi le taire, ces agréables : “un vieux comme toi c’est trop cool !…), j’ai pour ma part le “clou” d’une nouvelle édition enthousiasmante de la Fête de la Musique. 

Entre traditions à maintenir ( les places fortes des Ragondingues, l’arrière de saint-Pierre, la pharmacie Danjou…) et audaces à accompagner sincèrement ( la vallée des jardins), on peut espérer que l’édition 2023 confortera cet élan electro qui reste bel et bien la signature musicale de Caen. Souhaitons seulement que l’énergie de nos artistes locaux ne soit pas fragilisée ( après l’épisode Covid) par la pusillanimité décidément bien normande de certains de nos décideurs !   

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