On nous promettait un événement ce soir ( dixit la grosse campagne de publicité), et il y a fort à parier que les directeurs de cabinet et autres communicants sont sur le bateau depuis des semaines pour nous présenter cette spectaculaire soirée au titre aguichant : Découvrez Caen 2030 ! Rien que ça, si cela ne s’appelle pas vendre du rêve ?
Direction le WIP, non sans avoir au préalable pris soin de prendre ma place ( gratuite ) sur un site ( Weezevent) qui se charge habituellement de certaines de mes soirées…electro.
A 19h10, l’enregistrement en ligne (pourtant annoncé comme obligatoire) est inutile et je suis le dernier à devoir montrer mon sésame numérique, ensuite on passe en open bar, allez comprendre, peut-être le besoin de remplir in extremis les places à gauche de la scène ?
19H 30, le show-événement commence avec l’entrée en scène d’une sympathique fanfare de jeunes, on reconnaît vaguement un thème de Stevie Wonder, ça sonne plus ou moins juste ( ou plus ou moins faux) mais qui oserait en vouloir à ces jeunes gens….
Entre en scène une présentatrice de France 3 ( Normandie, je suppose) qui nous dit qu’elle anime une émission au titre de rigueur ce soir : Vous êtes formidables, why not et elle remplit avec professionnalisme et abattage le job non sans insister lourdement sur son célibat qui, à 38 ans, se prolonge. Rires complices et gras dans la salle, on comprend tous qu’on n’est pas là pour s’emm…s’ennuyer. Ce que confirme l’introduction de Joël Bruneau qui ( sans prompteur) expédie assez efficacement les salutations d’usage et nous rappelle que cette soirée doit rendre compte du travail de plus de 7000 sondé(e)s qui ont travaillé sur l’avenir de notre ville : de quoi mettre l’eau à la bouche, surtout si l’on reprend les termes de la communication officielle : restitution, fierté normande et autres joyeusetés apéritives.
Tromperie sur la marchandise ou communication maladroite ?
Autant le dire tout de suite, en matière de restitution ou même de perspectives ( l’horizon 2030, c’est demain) nous resterons sur notre faim, ce qui ne semble pas du tout perturber l’immense majorité du public présent, une belle assemblée de tempes très très grisonnantes qui devaient certainement se demander, en ces temps de pandémie, si elles tiendraient jusqu’en 2023. Je ne pourrais donc pas commenter ou même reprendre une quelconque indication pour notre ville en 2030 puisqu’il n’en a jamais été question, et ce pendant les deux heures durant lesquelles j’ai subi ce tunnel de promotion dignes des comices agricoles 2.0. Rien, pas une seule annonce, pas une seule piste de réflexion, pas une seule perspective, rien et pour la date elle-même (2030), si peu reprise durant la soirée, on en viendrait même à se demander pourquoi cette échéance plutôt que 2040, 2050 ou, rêvons Caen 3022 ! De la com, de la com dans ce qu’elle a de plus médiocre, de plus provincial et de plus paresseux.
Pour tenter de combler cet abyssal vide intellectuel, on fera défiler des personnalités, plus ou moins rompues à l’exercice de la prise de parole, mention particulière pour la présidente de Foncim, certainement excellente dans le BTP, mais qui faisait vraiment peine à entendre dans son bredouillement de première communiante.
Premier de ce défilé (interminable, à 21H20 ça continuait, mais sans moi) Jean Viard, qui avec son habituelle faconde de bistrotier de la sociologie nous balance ses formules éculées du style : “c’est la nature qui fera l’histoire !”. Effet wouah garanti dans la salle, un grand homme nous parle ( et pourrait tenir les mêmes truismes à Cambrai, Nice ou Limoges). En dix minutes tout cela est expédié, il faut bien que les autres intervenants…interviennent. Puis vient le tour de l’historien de service avec son “je vais vous dire pourquoi est une grande ville de mer” et son “ soyons fiers d’avoir la deuxième Académie de France “ ( oui, mais c’était en 1652 …). Pendant ce temps, notre dessinateur Chaunu fait son show, mention spéciale tout de même pour son maire de Ouistreham caricaturé avec un phare immense à la place de son nez de Pinocchio et notre présentatrice de minauder avec lui, les tempes grisonnantes ( mâles) rient et les tempes grisonnantes (femelles) fusillent du regard. Et dire qu’on nous avait promis un événement.
Puis c’est le tour de l’inévitable start-upper de service qui nous parle de ses robots et de leur intelligence ( non, non, promis ils ne nous font pas peur ) mais on attend toujours le lien avec 2030. Peut-être que le président de la faculté de Caen nous en dira un peu plus, attente déçue, même si dans ce flot de discours auto-promotionnels on retiendra tout de même sa légitime fierté quand il nous rappelle que Caen est la seule ville de province à disposer d’un campus au sein même de son centre-ville. Je fais vite pour la suite, en respectant l’ordre d’entrée en scène, une directrice d’entreprise ( Filt 1860), le directeur de Baclesse, une video sur les zéolithes et sa directrice de recherche ( en anglais, c’est plus cosmopolite), vive la Région Normandie, vive Caen la mer, bla bla, on croyait lire les magazines publiés par ces mêmes institutions.
Je tends un peu plus l’oreille quand le chef d’orchestre Sébastien Daucé vient parler de …culture à Caen. On comprend très bien qu’il vienne prêcher pour sa (belle) paroisse mais outre le fait que sa position d’artiste caennais à part entière reste discutable, je ne sais pas trop si son discours sur le théâtre lyrique vend réellement du rêve aux générations de …2030.
Et ça continue encore, encore ( merci Cabrel), après la culture, le sport évidemment avec deux charmantes sportives fières d’avoir des casquettes avec le logo de notre ville, c’est touchant, mais rien sur le sport à Caen en 2030. Je serais Joël Bruneau je pousserais tout de même une soufflante aux communicants pour n’avoir même pas fait mention du futur palais des sports !!!
En dire plus serait assassin, ne pas en parler serait se rendre complice d’une assez misérable entreprise de pure publicité. Mais à l’heure où nous traversons une série de crises qui touchent à nos valeurs et à nos modes de vie, il est tout de même inconséquent et dommageable qu’une collectivité se livre ainsi à cette mascarade événementielle, de piètre facture en plus. Les enjeux ( et les risques) pour Caen sont énormes, relégation, sous-préfecture de Rouen, spectre renouvelé de l’éternelle belle endormie… L’absence totale de vision, de rêve, ce soir, donnait envie de fuir et pire encore, de rejoindre le camp de celles et ceux qui ( à tort comme ne cesse de le prouver ma petite entreprise Cave Caenem) disent qu’il ne se passe rien à Caen. Ce soir, il devait se passer quelque chose, c’était presque une urgence et une nécessité ; ce soir, nous devions tous repartir avec ce frémissement de vie que nous espérons et attendons, et pourtant j’ai préféré fuir avant la fin, sans même savoir si la vedette américaine annoncée, Geluck allait faire miauler son chat.