Mardi, en fin d’après-midi, dernière chance de voir le film Yolo. Dans la salle ( Pathé rives de l’Orne), je constate avec plaisir la présence de quelques “personnalités” culturelles locales qu’on croise habituellement au Lux, mais rarement ici. Il faut dire que ce film est une pure “récolte” locale et qu’à ce titre, il se devait d’intéresser ( au moins) les acteurs de la vie culturelle caennaise.
Yolo, acronyme anglais pour nous signifier qu’on ne vit qu’une fois, nous présente quelques moments de Tom, un jeune futur ancien “taulard”. interprété par le comédien et metteur en scène Martin Legros. Entre sa cité ( la Guérinière) et ses rendez-vous à Pôle Emploi, il découvre, sans illusion, la vie des …plantes.
Durant une heure et quart, on assiste à un puissant processus de rédemption qui permettra à Tom de sortir ( dans tous les sens du terme) de son enfermement. On est à des années-lumière des surproductions pour ados qui trustent toutes les autres salles du Pathé, et on peut s’étonner de ne pas découvrir cette production cinématographique caennaise dans l’une de nos deux salles “Art et essai”. Mais, en réfléchissant un peu, on peut se dire qu’à l’image de Tom qui doit quitter sa cité pour se révéler, le spectateur Telerama-compatible doit lui aussi sortir de son “enfermement”.
La véritable révélation de Yolo, c’est bien de découvrir un véritable film là où l’on s’attendait (un peu) à découvrir un moyen-métrage gonflé aux bons sentiments. Il faut dire que l’intrigue, simple, tourne principalement autour d’un petit coin de terrain que Tom, dans un moment qui ne sera jamais expliqué ou justifié, transforme en tout petit potager. Un peu comme un petit Prince déchu, il surveille son plant du haut de son balcon, tout en fumant clopes (roulées) sur clopes. Par une sorte de miracle ( ou par indifférence) le plant, non seulement est épargné, mais d’autres plantations surgissent. Graine de vie ou d’espoir, un petit potager se développe au pied de la cité et suscite un enthousiasme plus ou moins contagieux. Tout semble encore fragile, un coup de vent, un coup de pied, une crotte de chien et c’est fini. Le charme de Yolo opère justement dans cette fragilité soigneusement tendue, entre conte de fée ( des cités) et fable écolo. Certes Martin Legros, dans son mutisme (un peu trop Actor studio par instant) laisse la place à toutes les interprétations, sans qu’on ne sache jamais si son acte initial est poétique, politique ou purement anecdotique. Ce qui importe, après ce geste, c’est la dynamique qu’elle installe autour et en lui. On pourrait être irrité par la naïveté formelle du procédé ( planter dans le béton et retrouver la vie) mais avec Yolo, ça marche parce que l’approche du cinéaste Laurent Brard ( avec le collectif Art Vif) est plus documentaire qu’esthétique. On ne perd pas de temps à détailler des psychologies, mais on découvre, au jour le jour, des moments de vie, des tranches de vie que le potager de Tom se contente d’agréger pour un temps. Il y a cette mère, presque impotente qui va renaître sous nos yeux, cette ado, au bord de toutes les perditions, qui va goûter au soleil de la solidarité, il y a aussi ces deux “potes”qui n’attendaient que ce coup de “bottes” pour se mettre en branle. Des “adjuvants”, des “opposants” ( mention spéciale pour le “caïd” de la cité), mais que la caméra esquisse sans que jamais le trait soit forcé ou caricatural. Sur le fil d’un rasoir, le film échappe en permanence à tous les clichés. Peut-être l’heureuse magie d’un casting en grande partie amateur, peut-être aussi le désir de montrer avant de démontrer. Si Tom est bien le centre de gravité dramatique du film, la petite galaxie humaine qu’il éclaire dans sa lumineuse obstination se révèle petit à petit. Les recettes d’un “feel good movie” semblent là, à quelques jours de Noël, et pourtant, sur le papier, on aurait bien du mal à croire à cette improbable révélation “agricole”. En toute modestie, avec un budget qu’on suppose minimal, le collectif Art Vif parvient à renouer avec l’esprit d’un Frank Capra, jusqu’à cette délicate histoire d’amour qui se tisse, en filigrane, entre Tom et la belle maraîchère : une amitié acceptée sur Facebook, un tendre regard final, et tout le reste relève de l’intimité pudique, cette même pudeur qui est le carburant émotionnel de Yolo.
Maintenant que le “gros” Pathé a fait son miracle de Noël en programmant quelques jours ce film qui ne pouvait espérer un tel réseau, peut-on espérer une reprise plus longue dans le réseau “art et essai” local ?