Ça donne tout de suite un petit côté intello quand on commence par expliquer  le titre même d’une soirée. Fort heureusement, le net vient à mon secours pour ce dysprosium, inconnu à mon bataillon. Il s’agit donc d’un élément chimique dont le nom viendrait du grec δυσπρόσιτος / dus-prósitos, « difficile à obtenir » !!!!

Les trois organisateurs de la soirée du même nom devaient avoir à l’esprit cette difficulté en investissant le WIP. J’ai déjà eu l’occasion de me lâcher sur ce vaste espace situé sur l’ancien site de la SMN à Colombelles. Espace culturel, option couteau suisse , le lieu incarne à merveille ce recyclage du patrimoine industriel et offre, à qui a le courage ( et les moyens) de l’occuper son immense espace, froid ou brûlant. 

Hier soir, et c’est la première (bonne) surprise, l’œil est happé par la projection d’une immense rose cubiste sur le haut-fourneau, ce vestige totémique du glorieux passé ouvrier. C’est une attention aussi délicate qu’impressionnante, tant elle témoigne d’une volonté de créer un événement global et marquant. Visiblement les trois organisateurs de la soirée, les collectifs Oiz et Black Moon et Elypsonore, une société qui marque de plus en plus de son empreinte sonore les festivités electro de la région, ont eu de l’ambition ( et des sueurs froides) pour animer ce WIP. On est loin du fantôme de free-party organisées ici-même il y a plus de vingt ans. Et pourtant ….

Autant le dire tout de suite, la grande réussite de cette Dysprosium est d’avoir ressuscité, redynamisé un certain esprit « free » tout en l’intégrant, sans compromis, dans une soirée electro aux normes d’aujourd’hui, avec ses contraintes de sécurité, de confort et de qualité. Cette rose donc, qui nous accueille dans toute sa splendeur, est donc à lire comme une signature symbolique de toute l’organisation qui a vu les choses en grand, mais avec toujours ce sens de l’image, de la fête et du son qui marque les grands moments !

Si le WIP est énooorme il nous a aussi montré par le passé ses difficultés à sonner musicalement. Le lieu est un défi pour qui cherche à y diffuser du son et c’est là qu’Elypsonore s’en sort avec finesse. Certes, hier soir, on retrouvait encore cette signature ouatée et ramassée dans les graves, mais après trois événements « boum boum » dans ce même WIP, je dois dire que je ne l’avais jamais entendu sonner de manière aussi professionnelle. On est encore à des années-lumière des standards « Berghain » ( autre lieu industriel recyclé) mais en l’absence d’un investissement technique de la part du WIP lui-même, on ne peut qu’applaudir l’exploit d’Elypsonore qui est parvenu à faire rugir avec des nuances harmoniques certaines cette grosse caisse en béton et en bois. 

Monter jusqu’au WIP, en soirée, c’est avec l’attente ( et l’assurance) d’y trouver un lieu démesuré et festif. Là encore, les organisateurs ont fait carton plein. L’espace scénique, en fond de salle, est basique, encadré par trois écrans, deux en paravent, et un en hauteur. Au fil de la soirée, un délicat travail de projection nous éloigne des sempiternelles anamorphoses et autres créatures robotiques pour des images en noir et blanc qui, de pixels se transforment parfois en danseuses exotiques se déhanchant magiquement sur le rythme et l’esprit de la musique. Bonne idée aussi que cette inversion dans la diffusion des quatre lasers, qui, pour une fois, partent de la scène et se dévoilent derrière nous, couvrant le dancefloor d’un tapis volant de nuances diaprées et révélant l’image finale quand on veut se rendre dehors pour fumer ou prendre l’air. C’est à la fois sobre et très efficace tout en mettant intelligemment en valeur l’énormité du lieu. Enfin, le jeu de lumières respecte cette sobriété en évitant le clinquant par des éclairs, le plus souvent jaunes, qui évoquent ( peut-être) le passé électrique du lieu. Question « orga », le même professionnalisme est de mise, le passage au bar est fluide, malgré la foule : de quoi entrer dans une concurrence ( involontaire) avec … qui on sait ou qui on veut !

Question line-up, on se doutait bien que la soirée ne serait pas de tout repos, mais là encore la surprise est au rendez-vous dès le début de soirée avec un b2b tout en finesse entre Martin Decaen et Peck. Purs produits locaux ( au même titre que la grosse majorité des autres artistes invités) les deux musiciens parviennent à installer les codes « teuf » tout en glissant habilement des lignes mélodiques, comme ce « Rave » d’Adam Beyer, certes remixé et pulsé à un bpm boosté, mais qui fait partie de mon petit panthéon du genre. La salle se remplit à flot continu ( c’est sold-out, de quoi rassurer les organisateurs) et c’est assez plaisant de voir que le public est de plus en plus diversifié avec, en plus, une présence assez forte de « vieux », d’anciens teufeurs qui ont eu le nez creux et qui ont vu dans cette Dysprosium l’occasion d’un bain de jouvence réussi.

En toute logique, la soirée se « radicalise » musicalement avec le duo Sid Jenkins et Nikita qui font exploser leur verve psytrance. L’efficacité du kick s’installe, au détriment parfois de la finesse mais c’est tout de même la loi du genre. On aime ou on n’aime pas et pour enchanter un peu les yeux on voit apparaître les premiers effets pyrotechniques, une version XXL de ces bâtons lumineux qui accompagnent les bouteilles dans les clubs qui veulent faire chic. Ici, dans cette économie mesurée et maîtrisée, l’effet est “classe”, sans ostentation ni vulgarité.

Le temps passe vite,entre musique, papotages plus ou moins mondains ou amicaux et quelques frissons ( il ne fait pas chaud dans le WIP). 

Le b2b suivant ( Onelas et NHH& LABN) installe sa rugueuse sonorité industrielle qui culmine avec Ein Zwei ( et son « Polizei »), de Pepma, la seule référence que je parviens à identifier, n’étant pas, je le confesse, un grand spécialiste du genre et enfin l’écho lointain et remixé ( grave) d’un Jimmy Sommerville époque Bronsky Beat. 

Dynamo ( seul) prend le relais dans une passation un peu délicate mais rétablit le cap en affirmant, sans faille, les codes d’une soirée « énervée » mais …distinguée. 

Le « paquebot » Dysprosium est bel et bien lancé et s’affirme. Décidément, des acteurs locaux se donnent les moyens de leurs ambitions et hier soir, dans une esthétique qui n’est pas nécessairement la mienne, ils ont prouvé qu’on pouvait faire du WIP une nouvelle scène tout en proposant une soirée de qualité. En tablant presque exclusivement sur des talents locaux et des forces vives du coin, on a là la démonstration indiscutable d’un « savoir-faire » qui ne se contentera certainement pas d’un one-shot, de quoi replacer Caen dans la course ? 

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