En deux soirées, publiques ou privées, le dj set live était à l’honneur en cette fin de semaine. Rappelons que derrière  cet anglicisme se cache la prestation d’un dj qui, le long de son set, va donner à entendre ses propres compositions, rien que ses propres compositions ! 

La prise de risque est plus forte que lors d’un “mix” puisque l’artiste s’expose doublement, tant dans sa technicité de Dj que dans sa créativité musicale. 

Mad Brains, fort de son “écurie” de talents divers, proposait donc, vendredi soir, au Camino, un événement entièrement “live”. La cave du bar de Vaucelles devient, mine de rien, un lieu prisé par la communauté “electro”, offrant ainsi une relecture moderne des repères jazzy germanopratins. Vers 22H, à peine éclairée par une projection video minimaliste, la cave est l’écrin de la confession musicale d’ Ekzon. Loin d’être pleine, la salle offre pourtant le parfum discutable des chaudes soirées d’été, un gage de sudation corporelle et d’intenses chorégraphies préalables. Le set d’ Ekzon fait éclater de lentes et sobres lignes de basse qui ne sont pas sans évoquer parfois l’idée qu’on se fait des locomotives à vapeur et de leur lente montée en puissance. Un vrombissement, au rythme encore un peu lent, monte, monte et gagne en vitesse. Sur cette base, le dj installe ensuite une grammaire minimale de sons qui loin d’être austère entament un dialogue presque hypnotique avec la “locomotive” du kick. Ce qu’il  y a de singulier et de fascinant dans l’expérience du live, c’est que l’on devient vite complice, pour peu que l’on prête l’oreille, de la construction non pas d’un track mais d’un véritable discours. Là encore le “live” prend le risque non pas de la monotonie mais celui de la sympathie avec le public, qui, comme les cordes du même nom sur un instrument, entrent en vibration par simple résonance. Dans le “live”, le public “vibre” ou pas. Vendredi soir, Ekzon excellait à provoquer cet effet en utilisant pourtant une gamme d’effets musicaux extrêmement réduite. Nico B prend le relais puisque les trois artistes présents ( Ekzon, Nico B et Mantra Noihr) se sont accordés autour de passages alternés mais assez courts, un choix judicieux pour une cave qui devient assez vite suffocante. 

Je remonte vers la surface, sachant que le lendemain je retrouverai le même Nico B avec son acolyte pour un live de Bruderschaaft. 

L’audace de programmation d’une soirée “live” estampillée Mad Brains est à saluer, parce que la radicalité même de l’expérience permet à des artistes d’affiner et d’affirmer un discours personnel au-delà de l’animation d’une soirée. Si elle permet, en plus, de se rendre compte de la richesse et de la diversité des propositions, cela ne peut que participer à une généreuse entreprise …d’éducation musicale.

Le lendemain, un autre collectif, Senary, dans un cadre privé dont j’ai déjà parlé, proposait une soirée dans un même esprit mais en version XXL avec pas moins de cinq “live, rien que cà !

Le cadre est toujours aussi propice au culte de cette musique, sans fioritures mais avec ce qu’il faut de commodités pour se sentir bien, tout simplement. 

Minuit, ce n’est déjà plus l’heure du crime, mais l’heure de reprendre l’imperturbable “locomotive” d’Ekzon. Loin d’être blasé de cette reprise, j’en profite pour tenter de mieux cerner le noyau de sa construction sonore et j’en apprécie d’autant mieux la lente et subtile entrée en gare qui vient au bout d’un set d’1h30 ( le format pour tous les artistes présents). Lentement, comme dans un processus de sevrage, ce n’est pas l’énergie du kick qui faiblit, mais toute la tension entre lui et les deux nappes sonores qu’il accompagne. Et je pense à cette belle pièce orchestrale d’Arthur Honneger, Pacific 231. Lui aussi tentait de mettre en musique la modernité de son époque (une locomotive, évidemment) et j’ai senti comme un étrange dialogue entre les deux….

Les lecteurs de Cave Caenem savent à quel point je loue, depuis les origines, le travail créatif du duo Bruderschaaft, et une fois, encore, leur simple nom sur un line-up, m’aura encouragé à jouer les groupies ! Une fois n’est pas coutume, ils partent ( est-ce par souci de cohérence avec la dynamique de la soirée) dans une “note” plus anarchique que d’habitude, installant très vite leur live dans une économie de l’improvisation ( au sens presque jazz du terme). C’est très cohérent dans leur démarche créative mais cela n’ira pas ( parfois)  sans une sorte de sur-place qui laisse un peu de côté le plaisir festif du public. On comprend leur plaisir à monter et démonter des boucles de plus en plus sèches mais ce plaisir de la variation; s’il fait kiffer tous les musiciens, exige aussi en face des oreilles très averties. Le risque était assumé et là encore, on ne peut que remercier Senary de nous permettre d’assister ainsi à de telles aventures musicales et plus encore d’offrir aux musiciens l’impunité de ce cadre amical.

Pour remettre le public d’équerre et d’accord, Angseth fait éclater ensuite sa rage créative. On sent qu’après son aventure écossaise, il lui tardait de nous prouver qu’il avait raison de mettre toutes ses forces dans ce come-back artistique. Ca groove quand c’est nécessaire, ça lorgne dans l’énergie house pour scotcher le public sur le dancefloor ( et ne plus le perdre) et ça repart dans l’aridité simple  d’une grosse caisse qui se fait voler la vedette par trois petites notes de musique. Tout est en place, et en ordre pour une redoutable progression d’énergie aussi sensuelle que cérébrale. De la musique pour la tête et pour les jambes. L’effet est implacable mais il brise, vers quatre heures du matin, ma détermination à en entendre encore plus. Je me sens un peu coupable de ne pas rester plus longtemps pour G.A.S qui ouvre pourtant son set par une très entêtante mélodie d’inspiration orientale. Et que dire du dernier artiste en lice, Otso, qui semble, lors des calages son entre les musiciens, avoir ravi toutes ces oreilles expertes. Deux soirs à tenter d’écouter sérieusement des live, c’est une aventure éprouvante, on me pardonnera mais une chose est certaine, le remord me poussera à me précipiter aux prochaines dates d’Otso et de G.A.S. 

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