Dix ans déjà qu’il nous trimballe dans sa hotte, nous les enfants, petits et grands. Pour les Horsains ( les non-Normands) je rappelle que le père La Pouque est une sorte de croque-mitaine local, à mi chemin entre le père Fouettard et l’ogre des contes de fées.
Des soirées du Père La Pouque, on se souvenait, émerveillé, de ces nuits enchantées à l’église saint Nicolas ( son alter ego bienveillant), mais pour fêter les dix années du compère toute l’équipe s’est déplacée au Bal monté du Bazarnaom. Allait-on alors retrouver toute la folie festive dans ce haut lieu de la bienséance libertaire contrôlée ? Rendez-vous sur place pour vérifier !
Histoire de marquer le territoire, c’est dès l’entrée qu’une énorme projection du Père La Pouque vous accueille sur la façade de la forteresse fermée aux manants d’un soir que nous sommes, quel dommage que de ne pas pouvoir visiter, même d’un regard furtif la belle installation, genre studio de cinéma installée dans le bâtiment central, un autre jour qui sait ?
Faute de frissons hollywoodiens, on se retranche donc sur les jardins délicieusement réchauffés par des braseros soigneusement disposés ça et là. Profiter ainsi de l’extérieur en plein frimas hivernal, c’est là la première magie du Père La Pouque. Les festivités de cette première soirée peuvent débuter ( si cette première nuit était complète, il reste, me dit-on quelques places pour ce soir, et j’espère bien aguicher votre attention…) et pour ouvrir le bal direction la tente militaire qui s’improvise en salle de cinéma de fortune. Au menu, une sélection de court-métrages estampillés KinoCaen, et pour nous réchauffer un plaid rouge soigneusement posé sur chaque chaise, l’attention est délicate et si on y ajoute les minimales envolées musicales de Martin Loison, genre ciné-concert 2.0, on obtient une mise en bouche stimulante à défaut d’être inédite.
Une grande partie du public semble dans l’attente du show Didier Super et son groupe Discount. Vieux routier des scènes « off » et alternatives, il vient faire …. son Didier Super, un « mix » inclassable entre protest-song gaulois et provocations « beauf » à la causticité soigneusement calibrée. Tout y passe, les Juifs, les Palestiniens, Macron, les bobos, les Vegans, les adorateurs de Sardou ou les vannes sexistes à prendre au troisième ou quatrième degré. Inoxydable avec son esprit punk-camembert il enthousiasme les convertis et convertit les blasés, dont je fais partie, à son énergie foutraque et déjantée. Avec lui c’est toute une histoire de la chanson engagée, version Professeur Choron, qui triomphe une nouvelle fois et qui ne rêverait pas d’un Didier Super pour ambiancer comme jamais un début de soirée d’anniversaire ?
Loin de toute nostalgie, je suis bien plus enthousiasmé par les rideaux musicaux très classe proposés par Dee Nasty. À 63 ans, le pionnier du hip-hop à la française vous emballe encore une salle en deux temps trois mouvements et il faut le voir sortir, sans égard aucun, ses vinyles et nous balancer d’indémodables pistes qui vous plongent sans ménagement dans son énergie toujours aussi revigorante. Moment de poésie sans égal, deux petites filles, casque de protection sonore sur les oreilles, se trémoussent de joie devant lui et ce choc de génération aussi improbable que furtif me redonne aussitôt une bouffée de confiance et d’espérance !
La révélation Di Originalz…
Sur la scène du bal monté ( j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire mais cette salle est une des plus envoûtantes de la région et rien que pour la découvrir il faut s’y rendre au plus vite ) Di Originalz s’installe. Autant l’avouer le nom de ce groupe ne me dit rien, connaisseur très médiocre du rap que je suis. Dès les premières notes je suis pourtant happé par la formidable énergie qui envoûte immédiatement la salle. Autour de Yoshi ( merci Gooogle) le rappeur vedette, on retrouve avec un plaisir de gosse la quintessence de l’esprit hip-hop, rap, scratch, beatbox et ce gros hip-hop de la mort qui tue. Là où le show dépasse largement son côté madeleine de Proust, c’est quand éclate « où est passé mon rap » et qu’on entend alors toute la tristesse ( joueuse et joyeuse) de ces fans de la première heure devant ce rap commercial et auto-tuné déversé sans vergogne par des faiseurs de fric. Et comment ne pas être ébahi devant la grâce et la prestance de cette improvisation que fait Yoshi devant des objets sortis au hasard de la poche des spectateurs ? On est bien au-delà du numéro de cirque ou de la virtuosité gratuite mais bel et bien devant un très, très grand monsieur de la scène Rap et rien que pour cette découverte : merci Père La Pouque !
Un tel festival, produit, année après année, avec la seule énergie désintéressée de quelques fêlés de la nuit caennaise est et doit rester une pépite. Mais comme toutes les choses essentielles, elles sont aussi rares que fragiles, espérons une longue vie à ce Père La Pouque et surtout la reconnaissance institutionnelle qu’il mérite à la lumière de sa généreuse et débordante créativité.