Rude journée que ce 9 janvier 2024, la disparition de Badinter ( sans sa dépénalisation de l’homosexualité, nos nuits electro auraient-elles été les mêmes ?) puis celle de Seiji Ozawa ( les Gurrelieder de Schoenberg, sous sa direction, sont à (re) découvrir toutes affaires cessantes ), non vraiment cette journée commençait mal !
Histoire de faire ma concierge, et surtout de me changer un peu les idées, direction Climb up, ce délicat « nid à bobos », qui, à défaut d’escalader la lune, grimpent aux murs des Rives de l’Orne. Un intrigant événement, avec dj s’il vous plaît, s’y déroulait. Quelques téméraires cuisiniers « monte en l’air » tentaient de battre le record ( du monde ?) de fil d’aligot, cette robuste recette de purée-fromage venue de l’Aubrac. Le public aussi nombreux que socialement homogène assiste, enthousiaste, très enthousiaste même, aux tentatives surréalistes et absurdes de ces cuisiniers enjoués pour tirer, tirer, tirer un fil d’aligot entre une spatule gargantuesque et une casserole qui ne l’est pas moins. Record à battre, me signale-t-on, 6 mètres 20 !!! Initiative daliiiiiesque ou décadence festive d’une bourgeoisie provinciale en mal de frissons régressifs, chacun sera juge, mais j’avoue qu’au bout d’une quinzaine de tentatives et même sous une sono de dancing albanais, l’humour de la proposition s’épuise assez vite et il est temps pour moi de me rendre aux 3 Marches, histoire de découvrir un peu mieux cette dj dont le nom circule de plus en plus entre initié(e)s : Sainte Chanèle.
Avec un nom de scène pareil, on sent bien qu’il y a quelque chose de mystique, sinon de religieux dans le rapport à la scène que cette artiste souhaite installer avec son public, ce qui n’est pas pour me déplaire. Quitte à se cogner à la question divine, autant que ce soit avec les dieux de l’Olympe musicale.
Repère aussi discret que fréquentė de la faune electro caennaise, les 3 Marches cachent, au fond de la salle une toute petite piste qui peut très vite devenir une fosse aux plus expansifs des serpents de la nuit. Hier soir, c’est un véritable petit autel propre à la plus excitante des liturgies qui nous accueille. Autour des platines, à droite et à gauche des lumignons, comme ceux qu’on allume à la Toussaint sur les tombes … Et puis comment ne pas voir cette discrète mais éblouissante statue de la vierge Marie qui, dans sa douce kitscherie, semble veiller tendrement sur le bon déroulement de la soirée. C’est une installation à la fois minimale et extrêmement délicate, un autel pour un culte, sans aucun doute.
A l’entrée du bar, cette joie toujours sincère de saluer des ami(e)s, et, de loin, un son qui ressemble de plus en plus à de la musique, à de la vraie musique ! Je crois reconnaître, mais peut-être est-ce une envie plus qu’une réalité Heaven de Kasper Bjørke et là je commence à m’inquiéter : quel est donc ce dj qui me pique mes idées musicales et qui ose passer des MUSIQUES que l’on n’entend jamais à Caen ?
Curieux ( et peut-être bien un peu jaloux) je décide d’en avoir le cœur net. Derrière les platines, une piquante chevelure rousse qui, toute en chorégraphies déclenchées à la seconde près, précède et accompagne la moindre entrée vocale, la moindre variation rythmique. Sans aucun doute possible, Sainte Chanèle connaît intimement, parfaitement, amoureusement toutes les pistes qu’elle diffuse. Elle ne balance pas du son mais diffuse…de la musique et beaucoup d’amour.
Pas une seule piste que je ne connaisse ou que je ne brûle de shazamer, pas une seule transition dont je ne goûte, à la modulation près, la rigueur et la redoutable fantaisie et puis il y a cette ambiance, toute en sonorités New Wave matinées d’un soupçon de rigorisme « teuton », sauce Kraftwerk qui, pour une fois, rigoleraient !
De la musique, de la musique et encore de la musique, et rien que de la musique, pas cette horripilante débauche de sons, cette froide et lassante guerre de kicks mais au contraire les caresses enivrantes de boucles mélodiques qui s’assument et se répondent. Je donne rarement dans la critique et j’ai l’enthousiasme facile quand le dj fait le job et qu’il s’occupe de moi avant de me faire le déballage parfois indélicat de sa prétendue virtuosité. Avec Sainte Chanèle rien de tout cela mais une dynamique et généreuse leçon de musique, ou plutôt une eucharistie en direction de la musique. Là, en écrivant ces lignes, je découvre que la dj fêtait hier soir un anniversaire, ou plutôt une « messe d’anniversaire », à quelques semaines de ma propre Birthday Party.
Je délaisse pour un temps ce médiocre sentiment de jalousie pour ne plus n’en éprouver qu’un seul : le regret ! Le regret de ne pas avoir écouté plus tôt les louanges avisées de mes ami(e)s à son sujet et le plaisir de savoir qu’il existe encore un lieu et des artistes pour défendre avec autant de grâce et de talent la musique que j’aime. Oui, assurément, à la Sainte Chanèle, la nuit est vraiment plus belle, et j’avais diablement besoin de le découvrir !