Cette nouvelle édition de la fête de la musique se déroulait dans un contexte singulier : un match de foot, un vendredi soir en porte d’entrée d’un possible véritable week-end estival et des législatives dans une semaine… Bien difficile alors de savoir si ce joyeux bordel musical allait panser nos plaies, réunir une France dispersée façon puzzle ou flatter nos tendances communautaires….
Du très gros son, assurément !
Dès le magasin Printemps, on est surpris par le ronflement sourd qui semble venir d’un peu plus loin, il est 18 h et inutile d’espérer une “mise en oreilles” en mode chill, ça cogne grave dans une lutte implacable de qui aura la plus grosse…sono. Un brouhaha vaguement dissonant me parvient de la Place Courtonne, mais je tourne à “gauche”, vieux réflexe défensif en ces temps troublés. Devant l’ancien cinéma, le collectif Oiz, associé à Elysponore envoie du lourd avec une installation digne d’un festival : un immense portique bardé d’enceintes arrose toute la place, et c’est seulement dans les rares micro-silences qu’on entend les basses d’une installation plus modeste, côté McDo. Il faut bien reconnaître que le son est parfait, grâce à l’expertise d’Elypsonore, et, au fil de la soirée, les chevaux des BPM galopent, galopent dans une cavalcade débridée qui ravit les aficionados du genre.
Des “spots” habituels semblent, d’année en année, de plus en plus négligés ( la rue saint Pierre n’est plus que l’ombre d’elle-même sans parler de la rue de Bras, ou, plus ennuyeux, l’arrière de Saint-Pierre, ce passage Sohier avec sa scène naturelle ) alors que d’autres, inédits, émergent avec bonheur.
Au rayon des belles nouveautés, le haut de la place de la République, intelligemment squattée par le collectif Obsolete. Profitant du gradin naturel des sièges en bois, le néon Obsolete chapeaute une scène enjouée, et vers 20H, Möka ( sans éventail, printemps frileux oblige) conduit son petit monde d’une main experte, sans craindre des jets d’eau inactifs pour l’occasion : à Caen une même installation sous un soleil torride avec arrosage bienvenu inclus ???
Autre lieu au charme bucolique certain à entrer dans la selecta des bons spots : le square Camille Blaisot, derrière l’église Saint-Sauveur. Les Villageois ont eu le nez creux en squattant ce lieu, et plus encore la main heureuse en transformant le square en une sorte de guinguette 2.0. Avec la nuit tombée, le contraste est saisissant entre un “visuel” très Caen libérée ( 80 ème oblige) et la pesante gravité d’une techno sans concession propre à déloger le plus téméraire des pigeons. Ça bastonne grave et le public en redemande.
C’est d’ailleurs un peu ce qui ressort de cette édition 2024, une sorte de “balkanisation” de la musique qui se cramponne dans des fiefs, des prés carrés jalousement protégés par des débauches de décibel et mine de rien assez peu rassembleurs : les teufeurs avec les teufeurs, les vieux avec les vieux ( nostalgique et déconcertante reconstitution d’un bal “pop” et swinguant place Saint-Sauveur avec sa cohorte de tempes grisonnantes tentant de revivre l’improbable retour d’une France figée), les ados ( avec ou sans boutons) avec les ados, transformant ainsi le parvis du Théâtre municipal en une immense boum de fin de troisième à ciel ouvert qui déverse sans vergogne son lot de “tubes” convenus et hurlés par une jeunesse heureusement assez métissée.
Du côté de la place Courtonne et du port c’est comme toujours, depuis des années, la cacophonie la plus totale. Certes l’espace invite à ce genre de délire, mais à force d’y concentrer les watts, les lumières, elle va dévoiler, tout au long de la nuit, ses aspects les plus grossiers et les plus formatés, et c’est tout juste si je parviens à entendre un peu les (belles) voix qui se posent sur la bande-son distillée par Label Seven. En fait, rien n’émerge si ce n’est le bruit et la fureur, signe des temps ?
Dans les douves du château, la scène free-party la plus radicale a trouvé son refuge, et là aussi son public. Les plus accros restent et profitent d’une playlist plus subtile qu’il n’y paraît si on se donne la peine de l’écouter et non de l’entendre, et les quelques rares familles égarées s’enfuient, de peur, qui sait, de donner de mauvaise habitudes à leurs rejetons.
Du côté du Kokomo, Laohu n’est pas peu fier ( et il a raison) d’être le seul à mixer une italo-disco trémoussante à souhait et rafraîchissante. L’installation est modeste mais, fidèle au cahier des charges originel de la fête de la musique, elle fait le job sans rougir et sans sombrer dans le gigantisme des décibels.
Depuis de nombreuses années “ma” fête de la musique se conclut toujours devant la pharmacie Danjou, à la croisée de la rue “Ec” et de la rue Arcisse de Caumont. Une fois encore, la team Mad Brains y dévoile sa plus efficace des cartes de visite, et mine de rien, initie un public hétéroclite aux plaisirs d’une House de qualité. Nouveau venu dans la bande, Angseth se frotte à l’exercice. Derrière un Vince Vega en pleine forme, il occupe la place avec maestria dans un genre ( la House) un peu inédit pour lui. En dire plus me vaudrait certainement des accusations de favoritisme ( assumées) mais si j’ajoute qu’Ethereal Structure et enfin Fred H viennent conclure, sans aucune faute, cette nouvelle formule d’un club à ciel ouvert je ne risque pas d’être démenti par le public nombreux et ravi.
Que retenir une nouvelle fois de cette fête de la musique caennaise ? Amateurs de chorale, de fifres et de musiques non-amplifiées, passez définitivement votre tour, l’heure n’est plus au Temps des cerises, et les sondages nous le rappellent avec frayeur. Pour le reste, il conviendrait tout de même de ne pas continuer trop longtemps dans cette course à l’armement “bruitiste”, au risque de ne plus rien entendre du tout, au risque surtout, de passer à côté de pépites réelles qui, le temps d’une belle nuit, se donnent à nous gratuitement.