C’est vers la fin du Moyen Âge que les confréries de métier commencent à demander l’intercession de leur Saint Patron. À charge pour le Saint d’apporter protection et soutien. Saint Joseph pour les charpentiers, Saint Louis pour les coiffeurs, Sainte Véronique, patronne des lingères….

Je ne sais pas si le Decretum super electione Sanctorum in patronos Sacra Rituum Congregatio qui régit depuis le 26 mars 1630 le décret d’élection des Saints Patrons ( merci Wikipedia) sévit encore de nos jours mais s’il y a bien une nouvelle confrérie qui pourrait demander sa réactivation c’est bien celle des djs. Et le Saint me paraît tout trouvé. Qui de mieux, en effet, que Saint Glinglin, pour intercéder et protéger nos djs ? 

Si ça n’était pas aussi sérieux (et triste) on pourrait continuer, sur un mode badin, mais à y regarder de plus près, je ne vois pas, en septembre 2020, confrérie plus cruellement touchée par la crise du Covid que celle de DJ. Pourquoi ce terme de “confrérie” me convient ? D’abord parce qu’il évite le terme de “profession” et que pour ma part, un dj, au même titre qu’un peintre, qu’un romancier, ou un comédien, est avant tout un artiste. 

À y regarder d’encore un peu plus près, je ne vois pas quelle confrérie artistique est plus impactée par cette crise que celles des djs. Certes les conditions d’expression des musiciens sont gravement perturbées, et les artistes pop, rock, rap voient l’accès aux scènes musicales soumises à des protocoles sanitaires parfois incompatibles avec la rencontre du public. La musique “live” est donc gravement convalescente mais le recours, plus ou moins systématique aux réseaux sociaux, aux disques permet encore l’expression de la créativité. 

Mais quel est l’objet artistique même du dj si ce n’est le public lui-même ? Je ne parle pas ici du DJ-producteur dans son studio mais bien du DJ qui conçoit son art comme la sublimation d’un moment artistique à part entière dans lequel le public est l’instrument indispensable de sa création ! On me rétorquera que pour tout musicien la rencontre avec le public entraîne nécessairement une alchimie unique qui fait que le “live” sera toujours plus intense que le disque. Mais cette alchimie reste un effet indirect et non une finalité en soi. Pour le dj en revanche, du moins pour la conception que je me fais de cet “art”, la finalité est bien de faire du public une oeuvre d’art à part entière et il y parvient à travers les pistes qu’il diffuse qui ne sont ici que des tubes de couleur et non pas le tableau. Le véritable instrument du DJ n’est ni la platine, ni la console mais le public ! C’est lui et lui seul qui justifie l’art du DJ, c’est par, pour et à travers le public que le DJ existe, et en cela c’est un artiste maudit et moderne aujourd’hui I Moderne parce que son mode d’expression n’est plus solitaire mais qu’il s’appuie sur l’industrie non plus du spectacle, mais  du divertissement. Maudit parce qu’il sera le dernier à pouvoir nous “parler”, entaché qu’il est de sa connivence nécessaire avec le divertissement. Oui, au risque d’enfoncer des portes ouvertes (fermées en l’occurrence), il faut des clubs pour que cette expression artistique puisse s’entendre, il faut des salles, il faut des bars, il faut des lieux de fête et de rencontre et c’est de cela que le DJ est privé, absolument, totalement, complètement et sans aucune perspective raisonnable.

On parle de mars 21, on parle de début 22 pour un possible retour des djs. On parle, on parle, mais on n’entend pas le médiocre chant du cygne des djs, parce qu’il est silencieux ( les grandes douleurs sont muettes, non ?) et parce que ces artistes restent définitivement coincés dans cette zone d’ombre bourgeoise entre divertissement futile et art (académique ?). 

Il y a des combats plus glorieux en ce moment, et la défense des djs ( et donc de l’univers dont ils sont les hérauts) passe, à tort, pour une éruption acnéique adolescente. Il faudrait, par ailleurs  dans cette “guerre” contre le Covid, se résigner à compter des victimes collatérales et peu importe si ce sont des djs !  Pour ma part, je ne me résigne pas et j’invite toute la communauté artistique à réfléchir au plus vite pour trouver des solutions “sanitaires”. Personne n’est plus choqué de voir des trains bondés d’humanoïdes masqués, de voir des foires de septembre se dérouler. Alors si la norme sociale exige désormais le port du masque dans toutes nos interactions sociales, au nom de quel principe, si ce n’est la vieille castration du plaisir judéo-chrétienne, ne peut-on danser masqué, écouter de la musique masqué, être debout dans une salle de musique…masqué ? 

Des musiciens se refusent à fonctionner dans ce schéma, on peut les comprendre, mais est-ce une raison valable pour nous dédouaner de toute proposition alternative conciliant à la fois l’urgence de la fête et les contraintes sanitaires ? Tout doit être tenté, tout doit être pensé non plus pour sauver une profession, mais pour empêcher un art majeur de crever, et de crever dans une indifférence dont je ne veux pas être complice. Alors Saint Glinglin, si tu m’entends, tu secoues un peu tes petits camarades du Paradis, parce que pour moi ( et je ne suis pas le seul) je risque de crever poétiquement si ce silence devait perdurer !

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