Le “24 rue de Bretagne” sonne l’heure de la rentrée culturelle….
Jauge maximale, samedi soir, devant l’ancien Panta-théâtre, baptisé cette année le 24, rue de Bretagne. Une centaine de personnes donc pour un événement de taille, puisqu’il signait officieusement rien d’autre que l’ouverture de cette saison culturelle 20-21, la saison de tous les risques mais aussi celle de toutes les audaces.
On le sait, la Comédie de Caen va “amicalement” squatter le théâtre de la rue de Bretagne pour y développer une programmation inédite présentée comme une réponse à l’urgence de la crise causée par le virus. L’intention est généreuse et sincère et on avait hâte de découvrir cette aventure de “pop-up store” culturel, ces boutiques éphémères qui fleurissent un peu partout dans les quartiers de grandes villes en proie à la gentrification.
En “lever de saison” donc, trois petits concerts avec, dans l’ordre de passage : Bruit rose, Léopold Frey et enfin Embrasse moi.
La première partie de la soirée sera pour moi l’occasion d’un inquiétant voyage temporel puisque, dès les premières notes de Bruit rose, je me retrouve plongé dans une troublante atmosphère “maison de la culture de la banlieue parisienne, version fin des années 70” à peine corrigée par quelques accords “noise” pour donner à l’ensemble cette académique touche “crado” qui semble encore avoir la cote dans nos provinces reculées. Pour donner à l’ensemble un vernis contestataire ou engagé, le chanteur psalmodie quelques textes, vite rejoint par une équipe de “diseuses” et là encore, on retrouve le catalogue du prêt à penser “undergroundo-subventionné”, mise en voix musicale d’un extrait du King Kong théorie de Virginie Despentes en tête ! C’était certainement chic et branché au début des années 2000, mais en ce début de septembre 2021, on attendait ( on avait besoin) d’amour, d’humour et non ce fastidieux pensum essoufflé, référence directe aux premières interventions physiquement éprouvante du chanteur. Seul moment “second degré” intéressant de ce premier concert, une reprise un peu grunge du slow mielleux de Jeane Manson : Faisons l’amour avant de nous dire adieu, mais comme ce titre était visiblement trop “vulgaire”, son nom n’aura même pas été cité à la fin dans la liste des textes “chantés”… La salle, masquée, semble approuver mollement.
Rapide changement et c’est au tour de Léopold Frey. Il est seul, avec sa guitare sèche. Il y a quelques mois, juste à côté, à la Cité théâtre, je faisais un “live facebook” pour partager mon enthousiasme de vieux groupie envers HYENE, et j’ai résisté à la même tentation “communicante” hier soir, par charité, même s’il me fallait presque une confirmation de ne pas me sentir le seul à vivre ce moment …sidérant, à mi-chemin entre l’enfant adultérin de Guy Béart et d’Yves Duteil, et un feu de camp d’atelier sophrologique dans le Larzac. De douces petites chansonnettes où culmine cette fulgurance poétique “ les larmes d’Aurore font de la rosée …”. Je m’étais pourtant promis d’être bienveillant dans ces pages mais soit je suis totalement passé à côté d’un second degré soit, hypothèse plus probable, je suis définitivement hermétique à …. la guitare sèche. Mais dois-je rappeler que je m’emploie ici à faire le journal intime de mes impressions et non le compte-rendu de Ouest-France.
Embrassé par …Embrasse moi ….
Fort heureusement, l’impression plus que mitigée de la première partie est vite balayée par l’apparition d’ Embrasse moi et de sa chanteuse Emmanuelle Hadjaj. Pour continuer dans les comparaisons et tenter de mettre en mots ce petit bout de femme, il faudrait peut-être imaginer Edith Piaf ( la même petite robe noire !) qui soudain se mettrait à chanter, à danser comme Muriel Moreno (Niagara). Cinquante petites minutes d’electro pop soigneusement construites d’où émergent des titres comme “J’ai décidé d’être meilleur(e)..” avec son petit kick minimaliste mais si efficace, comme L’importance de la danse et son très beau travail choral. L’ensemble sonne dans des couleurs très minimalistes, avec toujours, au loin, cette signature pop assumée et joyeuse et c’est avec la frustration énorme d’être cloué sur mon fauteuil que je dois résister à mon envie de me lever et de me joindre à cette imprécation sur …L’importance de la danse. La salle réagit, interpelle, les rangées de fauteuils commencent un peu à trembler et c’est un spectacle stupéfiant que de voir des rangées de mutants masqués vibrer comme des larves qui tenteraient maladroitement de sortir de leur chrysalide sanitaire. La vie musicale et théâtrale va reprendre, elle a repris hier soir, à Caen et je repars, presque convaincu.
L’expérience du 24, rue de Bretagne s’annonce prometteuse et passionnante, ne serait-ce que pour la lumière publique qu’elle pointe vers des “communautés” artistiques dont certaines lorgnent à juste titre sur la suite. Il leur faudra prendre un soin extrême à ne pas accumuler des rendez-vous approximatifs avec le public au risque de perdre en crédibilité artistique. Ce nouveau lieu est propice aux expériences, aux audaces et aux expériences joyeuses. Hier, en début de soirée, j’ai cru, un instant, qu’il pouvait se perdre dans un “refuge” suranné pour des expériences bloquées au tout début des années 2000, version Lacascade si je voulais rester dans un esprit polémique. Un oeil sur la programmation à venir efface toutes ces craintes, mais le risque du confort “académique” ne guette pas que les grosses structures…
Il y a 10 ans Anna Ventura s’attelait à l’Effet King Kong, qui n’a pas fait long feu dans le bocage. Manque d’académisme ?