(Re) construire un public electro à Alençon.

Vendredi soir, à l’heure où la télévision célébrait la musique et dupliquait jusqu’à l’écœurement les mêmes victoires pour les mêmes « produits », la Luciole, la scène des musiques actuelles d’Alençon se lançait dans une soirée electro à l’affiche prometteuse : Tolvy, la jeune musicienne rouennaise ( marraine de la candidature de cette ville au titre de capitale culturelle, excusez du peu), Irène Drésel, tout juste auréolée de sa nomination aux Césars pour la bande-son du film À plein temps, Joachim Pastor, co-fondateur  (avec Worakls) du si « french label » Hungry music et digne représentant d’un son « Versaillais-chic », sans oublier, pour finir, la caution régionale d’un Cuften et ses délires geek et rave à la fois. Bref, une affiche qui devrait faire courir le ban et l’arrière-ban des aficionados du genre ! 

A l’arrivée, il semble bien qu’une telle affiche, du moins à Alençon, ne soulève pas un vent de folie et c’est une modeste salle de 150 personnes environ qui accompagnera les artistes tout au long de la soirée. 

L’énergie de la Luciole et de sa communication n’est pas ici à remettre en cause, mais bien la dynamique même de ces salles de province ( les SMAC) qui, après le Covid et un ronronnement papy-rock découvrent partout en France l’obligation et la nécessité de construire une nouvelle identité plus proche des pratiques réelles d’un public plus volatil et moins sensible aux gloires un peu trop rapidement montées en graine par des prescripteurs qui ne vendent plus que du publi-reportage.

Tolvy donc, ouvre le bal et débarrassée de son attirail de productrice, elle livre un petit warm up en mode dj-set qui fait le taff devant une vingtaine de spectateurs. Le son est ciselé et navigue entre modulations house et techno tandis que la dj regarde un peu trop souvent sa montre, comme pressée de vouloir en finir avec ce chemin de croix musical. 

Quinze minutes d’entracte pour installer les deux pupitres nécessaires au show d’Irène Drésel. Signalons au passage que ces différents temps morts entre les artistes sera géré de manière assez rudimentaire et rendra plus difficile la nécessaire montée en énergie d’une soirée electro qui se conjugue rarement avec ces pauses techniques, à moins de prévoir dans la très belle petite scène du bar, une petite prestation dj, à méditer en tout cas.

Un concert d’Irène Drésel c’est un peu comme une soirée « ambient » et dont les doigts malicieux de la musicienne auraient fait monter les BPM pour nous faire sortir de la douce sidération planante. De lentes boucles sonores, atmosphériques, se développent tandis que le batteur, côté jardin, entre en scène et impose la si efficace dictature du four on the floor et de ses variations « electro ». Pour les yeux, les pupitres sont encombrés de fleurs, en mode do it yourself, et apportent cette touche girly power qui semble faire tout le sel de la compositrice. C’est à la fois délicat et efficace, et quand arrive le « lancer de roses jaunes » dans la salle, c’est une attention qui vient ponctuer avec élégance un show aussi « mode » qu’artisanalement décadent. Irène Drésel n’a pas son pareil pour rendre légère et insouciante une musique qui, dans sa construction, flirte pourtant en permanence avec la radicalité mais dans une sorte de long et intime préliminaire. Peut-être que les costumes de scène, qui ne sont pas sans rappeler des cultes païens, renforcent encore cette idée d’une cérémonie douce et soyeuse, loin des clichés des champs de betterave de la rave en mode « indus ». Une grosse heure de musique où dominent le don de soi, la générosité et l’envie de partager un univers peut-être plus complexe qu’il n’y paraît.

Quinze longues minutes de changement juste pour installer un ordi et un contrôleur et c’est au tour de Joachim Pastor de nous livrer sa vision de la nuit …alençonnaise.

Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il n’y va pas par quatre chemins et c’est dans une sorte de transe dont je me garderai bien de soupçonner l’origine qu’il entre en scène tout en ponctuant son set d’une chorégraphie de plus en plus descriptive, tous les drops et les entrées rythmiques annoncés par des moulinets de bras et des incantations en mode ola footballistique. Sur un grand écran, perdu au milieu du Dour, cela peut sembler nécessaire, mais on sentait tout de même un peu la méthode Coué pour réveiller une salle un peu planplan et qui peinait un peu à réagir à des effets de filtre et de transitions très audacieux parfois. Rien à redire, on retrouvait là tous les ingrédients du son Hungry Music, avec cette prédilection pour des lignes mélodiques qui clashaient en permanence avec la rigueur du kick, good job mister Pastor !

Dernier artiste à se présenter ( après quelques très très longues minutes d’installation), le normand Cuften. Le dispositif scénique exigeait ce temps d’attente puisque la scène est envahie par de vieux moniteurs ( cathodiques of course!). On sent l’influence geek à plein nez et cela se confirme dès les premières notes, ou plutôt les premiers sons qui cette fois, vous transportent dans … le champ de betteraves ou plutôt dans la nostalgie des raves, version années 90, mais avec cette petite pointe d’acidité mordante qui fera tout le sel. Au fond, une double projection, vidéo et laser commente, illustre, orne la musique avec les inévitables torses masculins en fil de fer ( mais en mode numérique…) qui sont désormais la loi du genre et finissent tout de même par plonger dans une sorte de paresse moderniste. Vers trois heures du matin, la salle est de plus en plus clairsemée et cette petite débauche technologique résonne forcément en creux, tant elle rencontre peu de visages en retour. 

Une première « nouvelle » incursion de la salle alençonnaise dans le monde de la nuit « electro », avec quelques détails à régler ( ne surtout pas faire tomber l’énergie de la nuit) quelques points forts ( une affiche de qualité) mais aussi la nécessité de travailler à présent avec les collectifs régionaux pour assurer, au moins un plus large public, et surtout installer l’idée d’une nouvelle scène régionale à l’heure où la dynamique caennaise semble réellement s’essouffler. On reviendra avec plaisir à la Luciole tant l’énergie semble positive et généreuse, à charge maintenant pour les acteurs locaux de solliciter et d’accompagner avec talent cette nouvelle initiative.

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