Par autan, l’ange terrible du beau.

Une dernière chance, demain, pour découvrir Par autan, œuvre ultime du grand metteur en scène François Tanguy, mort en décembre. Il ne faut pas y aller pour cette triste raison, encore moins pour accomplir un pèlerinage culturel mais simplement parce ce spectacle concentre, avec une force implacable, toute la magie poétique de François Tanguy. 

N’allez pas y chercher une quelconque intrigue, encore moins un soupçon de fable. Durant une heure trente, pleine à craquer d’une beauté visuelle et formelle, on voit évoluer une troupe de  sept comédiens qui se retrouvent, certainement à cause de ce vent d’autan qui, dit-on, rend fou, dans une improbable cabane faite de rideaux et de bois, l’antre magique, le refuge (alpin ?) de bouts de vie, de bouts d’histoire, de bouts de texte, que seule la folie de Tanguy aura pu rendre cohérents. 

Au fil de ce spectacle, on entend du Robert Walter, du Shakespeare, du Tchekhov, Du Kafka, du Kleist et d’autres encore, les monstres de cette littérature européenne qui hante le metteur en scène et qu’il évoque, invoque sous nos yeux médusés de spectateurs sans gouvernail autre que cette magie du théâtre qui s’invente littéralement sous nos yeux.

Les silences (rares), les rires, les soupirs, les mouvements lents et parfois reptiliens des comédiens emplissent peu à peu la scène, et c’est une diva qui surgit, un général aussi, une mariée, tout un petit monde entre le shtetl  de Chagall ou la folie douce d’un Tchekhov, contrarié par le chant nostalgique d’un lied de Mendelssohn : Wie ist so traurig jetzt Die Welt ( comme le monde est triste maintenant ).

Et c’est la tristesse joyeuse de ces saltimbanques en deuil qui vous saute à la gorge, une tristesse sombre et venteuse mais perpétuellement rappelée à l’ordre par la grâce d’une image qui vient de se créer sous nos yeux, un homme qui porte un cadre, une chaussure qui se transforme en vase, une femme en rouge peut-être échappée du Minetti de Thomas Bernhard  et qui se retrouve dans le vent du refuge … 

Depuis le Jeu de Faust, et ma découverte de l’univers de François Tanguy en 1987, je le savais obsédé par la figure de l’ange, mais ce soir, les anges n’ont plus d’ailes, un court texte de Robert Walser suffit à les suggérer : « les anges ne connaissent pas l’espoir, ils n’ont pas besoin d’espoir ».

Les anges sont à chercher du côté de la bande-son du spectacle ( rien que pour cela il faut y aller), et ce pianiste-comédien qui couvre ou duplique, en soliste ignoré, les plus belles partitions du piano romantique, Brahms, Grieg, Dvorak et tant d’autres encore dont on perçoit l’écho parfois lointain et toujours repris en direct sur la scène. Ce dialogue musical entre la bande-son et l’interprétation sur scène illustre mieux que toute parole le lien entre la vie et la mort. Comme pour les textes entendus, on se plaît pour un temps à se prendre au jeu du quizz musical ou littéraire mais l’exercice révèle très vite toute sa vanité tant le spectacle ne repose pas sur la citation ou le collage mais bien dans ce miracle de nous faire assister à toute la magie du théâtre qui, d’espace en espace, se construit, se développe et se sublime sous nos yeux. La salle est pleine de jeunes ce soir et c’est un silence magnifique durant toute la représentation, non pas ce silence qui impose mais plutôt ce recueillement miraculeux qui émane de Par autan.  Inutile, pour ma part, d’en dire plus, et c’est dans le souvenir de ce silence que je reste, celui d’une nouvelle jeunesse qui, trente ans après moi, aura une fois encore succombé à la magie du théâtre de François Tanguy. 

One Reply to “Par autan, à la Comédie de Caen”

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *