Les petits ruisseaux de l’électro caennaise parviendront-ils à relancer une scène musicale ? C’est étrangement cette lancinante question qui m’accompagne tout au long de ce week-end pascal très chargé en propositions. 

Un peu de musique entre deux planches ?

Vendredi soir, ce ne sont pas moins de trois tentations qui se font une douce guerre dans mon projet de soirée. Si la première, un one-girl show de SPRNS au Trappist s’impose pour moi, amitiés et Uhme obligent, il n’en est pas moins vrai que le défi est de taille pour la dj, en charge, seule, d’animer et d’ambiancer  toute une soirée. Vers 20h30, en fine connaisseuse des attentes du public, elle distille habilement une  liqueur sonore, entre rap et funk. C’est l’heure des planches-apéro et la petite excitation des gambettes viendra plus tard. Offrir ainsi une soirée complète à un seul artiste est la parfaite illustration du militantisme réel du Trappist pour cette musique, à charge pour l’artiste de se coltiner cette rude école de « l’animation » et d’imposer ( ou pas) une écoute de plus en plus captive. C’est parfois ingrat, difficile, mais un peu comme la manche dans le métro, cela reste une école impitoyable. 

Le charme underground d’un collectif : Obsolète.

Un peu plus tard, c’est du côté des 3 Marches que mon cœur balance. Depuis quelques mois, une sorte de mauvaise conscience me taraude en entendant prononcer le nom de ce collectif : OBSOLETE. A travers des rumeurs, des retours positifs je sens que la dynamique Obsolète ( avec un accent grave sur le premier E ?) s’installe. Il semble y avoir peu de collectifs caennais qui parviennent, aujourd’hui, à créer un tel engouement et mieux encore, à réunir les véritables aficionados de cette musique. Loin des grands discours ou des grandes scènes promotionnelles, ils maintiennent habilement la nécessaire touche underground à l’origine de ce mouvement.

Obsolète donc, qui n’était jamais passé à travers le radar de Cave Caenem. Vendredi soir, c’est à un Melt#2 que nous sommes invités, avec un line-up 100% résidents. Il y a foule en terrasse et quel plaisir que de retrouver les ami(e)s de mes retours sur la scène caennaise, il y a sept huit ans. Les tempes grisonnent un peu, des ventres s’arrondissent mais l’esprit des fêtards est intact, et la saine ivresse musicale n’a pas pris une ride. C’est peut-être ça avant tout le petit miracle Obsolète, cette façon désinvolte de maintenir le feu sacré. Le son qui vient du fond du bar ( Léo Larbi) en est la parfaite illustration, c’est rond, joyeux, une techno presque playmobil dans cette volonté de ne pas sombrer dans le ronronnement « indus » qui fait (trop) de ravages. Comme je dois gérer ma dernière tentation, Alphapodis et Culotté au Portobello, je fais un passage éclair non sans avoir goûté à la douce chaleur euphorisante de la petite piste de danse. Promis, juré,  craché, la prochaine fois, ce sera une soirée Obsolète only, histoire de mieux comprendre le charme indiscutable de ce collectif.

Sleek au Portobello : simply enjoy ! 

Le Portobello donc, avec son accueil austère…Vers 11h, comme très souvent, la salle est encore un peu vide, mais comme cela on peut profiter pleinement d’un travail vidéo qui remplit pleinement son office. Même si on me précise qu’il est encore en phase d’expérimentation, il s’agit de projeter des figures qui, de manière aléatoire, interagissent cependant avec la musique. Sur l’écran, dans une efficace tonalité violette on voit en effet des marbrures exploser entre elles, effet lampe-lava ( années 70) garanti !

Le « guest » de la soirée, Sleek ( du collectif Brume) sera ma petite pépite de la soirée. Sans brutalité, mais non sans vigueur, il impose à la salle des brises musicales encore fraîches ( en avril ne te ….) mais on sent bien que sa passion le tire vers un esprit clubbing ensoleillé. C’est drôle, jamais répétitif ni vulgaire, le risque majeur. Ah, j’allais oublier de parler de cette culotte rose de géant qui recouvre une partie de la table des djs : un Cendrillon masculin pour l’essayer ?

Quand la Demeurée se transforme en club ! 

Samedi soir, avant la traque des œufs dans le jardin, c’est pourtant dans le cadre bucolique de la Demeurée que ça bouge, même si par ailleurs les copains ( Angseth en tête) mixent dans un lieu mystérieux connu des seuls initiés.

En janvier dernier je quittais la ferme de Saint-Contest après le choc de Blush Response, et la programmation très « dark » de Mad Brains. Quelle joie donc de retrouver cette même salle avec un nouvel aménagement, en premier lieu ce parquet qui recouvre désormais le sol et qui, tout en bois clair, donne à la petite salle un aspect sauna norvégien tout en évitant de se prendre pour un bétail piétinant la terre brute. Ce qu’on remarque tout de suite c’est le très impressionnant travail  de Nico pour transformer la salle en un véritable club. Un simple et géométrique assemblage de tubes de lumières agence la voûte et donne immédiatement un cachet fou au lieu. Franchement cette option minimal-chic est parfaite ! 

Pour ouvrir les hostilités, rien de mieux qu’une confrontation entre Vince Vega et R’1. Tous les deux s’entendent comme larrons en foire pour installer un warm up qui délaisse pour un temps les chemins d’une house mélodique en privilégiant l’âme rythmique de ce style de musique. On sent que la soirée se place d’emblée sous le signe d’une exigence passionnée mais sans concession.

Basic 96 prend le relais. J’avais découvert l’artiste rouennais en plein Covid avec le projet Open/close. On le découvrait alors au château de Caen en plein survol de drones. Hier soir, pour un set de deux heures, il débute en trouvant ses marques. Lentement les lignes mélodiques reprennent vie ( n’est-ce pas dans cet apport mélodique que la différence est la plus marquée entre la house et la techno ?). Au bout de cinquante minutes, on entre alors dans des envolées instrumentales où la flûte, puis les cordes et les claviers relèvent le défi du kick. La grammaire stylistique se complexifie ( elle était volontairement minimaliste dans le B2B), deux, trois, puis quatre nappes se superposent et c’est trop cool de voir que le public ne demande que ça ! Derrière l’efficacité « dancefloor » de cette musique il y a de la poésie ( parfois) et merci à Basic 96 de l’avoir rappelé avec tant d’élégance.

En tout seigneur du château Mad Brains, c’est Fred H qui vient clore la soirée. Il débute d’une manière qu’on lui connaît moins, un peu comme s’il avait senti qu’il pouvait lâcher, devant ce public exigeant et initié ( Léo Larbi, vendredi soir aux platines des 3 marches était dans la salle, du côté du public !), une approche plus mentale. Inside Fred H’s brain donc pour reprendre un titre initial que j’ai cru repérer. Mais lentement le naturel endiablé du dj nous éloigne de ce voyage mental onirique et on retrouve une fougue qui explose littéralement avec The Clapper ( j’espère que je ne me trompe pas dans la réf) qui fait entendre toute l’urgence vitale de cette musique, celle d’une musique engagée, rebelle et surtout déterminée, loin des clichés gay-friendly qu’on lui colle pour mieux la dézinguer parfois. Imperturbable, Fred H aura une nouvelle fois prouvé qu’il était le gardien d’un temple, mais pas d’un musée !

Bilan de ces deux soirées riches en découvertes et en plaisirs ? Les musiques électroniques semblent à nouveau ruisseler de partout, reste à savoir si le terreau caennais saura ( ou pourra) conserver cette eau salutaire ou si elle coulera simplement dans le caniveau. La dimension ( et l’agencement) de la Demeurée par l’équipe Mad Brains aura montré qu’il suffit de peu de choses pour établir l’esprit d’un club, hélas il était éphémère. Ce n’est pourtant qu’avec un tel lieu pérenne que la scène electro caennaise pourra montrer et dévoiler toute sa richesse ….

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