Après une première tournée ( gage d’un Molière éternellement « bankable »), la dernière création d’Olivier Lopez fait une escale de quelques jours dans sa ville. C’est donc dans l’ancien Panta-théâtre, rebaptisé Atelier ou Studio 24 ( je m’y perds un peu dans le positionnement de ce lieu) qu’il faut se rendre pour découvrir les nouvelles folies d’Harpagon et de sa famille.

C’est toujours un défi que de proposer « son » Molière et on reconnaîtra à Olivier Lopez une belle audace à nous proposer, à son tour, sa lecture de L’Avare. Pour justifier ou expliquer le choix de cette pièce, il l’inscrit dans un projet de diptyque sur l’argent entamé avec sa pièce Rabudôru, créée en pleine épidémie. 

Si le dispositif scénique ne souffre d’aucune faute ( il n’est, paradoxalement pas signé dans le programme), on découvre un joli parquet et son motif géométrique. Le signe est limpide, un théâtre de tréteaux, mais en version «  classe ». Comme seul élément de décor, une grande table ( de ferme). Économie, simplicité, efficacité ? Au spectacle de le dire. Au lointain, réminiscence brechtienne, des projecteurs limitent la profondeur de la scène et tout cela flotte dans une élégante boîte noire. 

Les spectateurs sont accueillis par un étrange ballet des comédiens qui tantôt se dévoilent et tantôt semblent encore agencer la scène et c’est au coup d’un balai transformé en brigadier ( ah le charme ineffable des trois coups!) que l’on entre chez Harpagon.

Molière, en dramaturge rusé, sait bien qu’il ne faut pas dévoiler tout de suite le rôle-titre, et c’est avec l’inévitable scène des « jeunes » que débute la pièce. Valère ( Romain Guilbert) et Elise ( Margaux Vesque) donc, qui tentent de vivre leur amour sous le joug d’un père aussi avare qu’inflexible. Débute alors la longue et fastidieuse déclinaison d’un défilé de costumes, aux teintes plus maronnasso-automnales les uns que les autres sans qu’on parvienne à comprendre l’unité symbolique qui les unit. Valère, en jeune premier sorti d’un film de Marcel Pagnol ( version Canebière-pétainiste), Elise, en exécutive-woman ( version Succession-La Redoute), veste-tailleur comprise, Cléante (Gabriel Gillette), son frère, dans un petit top en résille, qui malgré la cape ( version Michou chez Dracula), ne cache rien de la rondeur du comédien… Une suite de signes visuels qui plonge le spectateur dans un flottement temporel qui pourrait être un ressort comique mais qui ne sera jamais exploité. 

C’est donc dans un « aujourd’hui » intemporel que se déroule la comédie, impression confirmée par l’entrée en scène d’Olivier Broche, le rôle-titre de cette production. En costume de ville bleu ( avec cravate), il se glisse dans la silhouette d’un notable de province, à mi-chemin entre le cadre de banque vieillissant et le notaire de famille. On est loin de l’affiche où l’on retrouvait le même Olivier Broche avec une belle fraise autour du cou, mais c’est peut-être plus vendeur ? 

Le duel classique entre les générations peut débuter, mais pour qu’il y ait duel, encore faut-il des duellistes crédibles. Si les « vieux » de la distribution, rompus à la scène peuvent prétendre à entrer en lice, il en va tout autrement pour les « jeunes » qui souffrent trop souvent d’être plongés trop tôt ( ou trop vite ?) dans l’implacable machinerie moliéresque. On peine ainsi à comprendre la silhouette que doit incarner Gabriel Gillette ( Cléante), qui dans sa gestuelle et ses manières, semble tout droit sortir d’une soirée hard dans un bar du Marais. Comment comprendre la passion immédiate de Marianne ( Noa Landon) pour cette figure caricaturale ? En choisissant le risque d’une approche sincère ( je reprends le terme du programme), Olivier Lopez s’oblige à rendre crédible les figures qu’ils cherchent à restituer sur scène. C’est un parti pris plus que respectable mais cela sous-entend une vraisemblance que les options prises dans la distribution mettent à mal. La question, ici, n’est plus de savoir si ces jeunes comédiens sont bons ou pas, mais s’ils parviennent à être à la hauteur des figures qu’ils doivent incarner. Force est de constater qu’ils n’y parviennent que timidement, engoncés dans des costumes disgracieux et dans une direction d’acteurs trop souvent statique. 

La machine comique nécessite une précision remarquable et Olivier Robe le sait. il éructe, vitupère, crie sans se ménager et une part de folie se donne à voir dans cette façon qu’il a de s’enrouler littéralement dans le rideau de scène. Il porte le spectacle avec force et générosité, et même si c’est avec une grammaire gestuelle minimale on entre peu à peu dans une mécanique de l’absurde, toute au service d’un texte qui est écrit pour cela. 

On le sait bien, chez Molière ce sont bien souvent les parents qui sont fous et les enfants (trop) sages, et l’Avare d’Olivier Lopez illustre cette fatalité comique une nouvelle fois, mais ici l’illustration est à lire en creux, et les scènes dans lesquelles Annie Pican intervient ( Frosine puis le commissaire) font une nouvelle fois entendre le trop fragile dialogue qui se tisse entre les générations d’acteurs. Si sa  confrontation rouée et mielleuse avec Harpagon fait éclater tout le vice et la pauvreté ( morale et financière) de Frosine, que dire de cette scène avec la jeune Mariane où l’on peine à ressentir de la sympathie pour cette jeune fille qu’on livre sans vergogne à un vieillard ? Là encore, la dimension tragique qui se cache derrière les enfants chez Molière se trouve réduite à quelques petites moues capricieuses, loin de l’horreur que doit vivre cette fille vendue.

Parmi les comédiens,  on retiendra l’intervention de Stéphane Fauvel, en particulier dans une scène de beuverie durant laquelle se dessine la douce folie potentielle de cette famille sous le diktat d’Harpagon. En délicates touches, il campe un cuisinier -cocher qui préfère se noyer dans l’alcool plutôt que de se retrouver coincé entre des camps, des tensions qui lui sont étrangères… Il n’y a que des coups à prendre et on entrevoit avec lui ( et Frosine) toute la violence domestique et capitaliste qui se cache derrière l’avarice d’Harpagon, car on rit « jaune » chez Molière, et l’ivresse du pauvre prolétaire trouve en lui une désarmante figuration. 

Que retenir de cet Avare ? La force inconditionnelle d’un texte ? La difficulté de monter un classique aujourd’hui ? La nécessité d’un parti pris radical pour être à la hauteur de Molière ? Peut-être un peu de tout cela !  Hier soir, dans la salle, il y avait le lot incontournable de lycéens pour LA sortie théâtre. Ça rit ( un peu), ça papote ( très peu), ça écoute ( très souvent) et c’est là un aspect inattaquable de la grâce de Molière. Il y en aura  qui penseront un peu comme moi, d’autres, moins sévères ( ou moins exigeants, qui sait ?), d’autres, enfin, qui succomberont au charme un peu désuet de cette version sans réelle aspérité. On ne perd jamais son temps en compagnie de Molière. Ce n’est peut-être pas cette version de l’Avare qui restera dans mon petit Panthéon personnel, mais n’est-ce pas là une simple affaire de goûts ?

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