Obsolete en « before »
Pour une parfaite mise en jambes avant la Black Moon, rien de tel qu’un petit détour par la Camino pour ma première réelle soirée Obsolete, et ça tombe bien, c’est sur ma route.
On le sait, la cave de ce bar de la rive droite est certes un écrin pour de belles aventures musicales mais elle nécessite à chaque fois un aménagement pour lui donner une âme. Avec la team Obsolete le contrat est rempli et c’est un sobre mais lumineux néon blanc ( Obsolete of course !) qui chapeaute la petite scène. Le blanc est à l’honneur, dans la lumière et dans l’échappée lumineuse qu’elle offre en contraste avec le noir de la salle. Un aménagement à la fois sobre et ingénieux qui nous plonge d’emblée dans la bonne ambiance. Mais avant de descendre les marches ( sans se cogner la tête) pour accéder à la cave, un petit détour par la billetterie ( à vot’ bon cœur m’sieurs-dames !) non sans avoir joué sur un petit jeu de lumière qui teste votre habileté. En bas, en guest, on retrouve l’énergie fougueuse de SPRNS. Un mélange toujours aussi faussement désinvolte entre soul, groove et grosses basses découpées pour faire des nappes minimalistes. C’est enjoué en diable et la dj nous fait rentrer sans difficulté dans son univers canaille en diable. La salle est pleine et il flotte dans l’air un parfum printanier, primesautier qui me ferait presque oublier …ma retraite qui s’éloigne à vue d’œil ! Il y a décidément un esprit Obsolete et cette cave, très germanopratine est idéale pour qu’il puisse s’épanouir. Si ce n’était pas aussi cliché, je le résumerai volontiers dans cette absence de « prise de tête » ou mieux encore dans cette volonté de se tenir éloigné du « bruit » de la scène locale, entre un Pour vivre heureux, vivons caché ou un Il faut cultiver son jardin !
Avant d’entendre le live tant attendu d’Ybrid au Cargö, c’est le live d’Otso qui retient toute mon attention. Dans une construction rigoureuse, il concocte sous nos yeux une potion musicale qui, derrière la dictature incontournable du kick, n’en laisse pas moins entendre un équilibre très harmonieux des petites boucles instrumentales. Il est près de 11h30 et pour ne pas rater Ybrid, je dois quitter le bar avant la fin. Encore un samedi soir où se télescopent de belles propositions, la soirée Ladacore au Portobello n’étant pas la moindre des invitations festives… Il y a des soirs comme ça où on ne sait presque plus où donner de la tête !
Le grand bain de la Black Moon.
Vers minuit, la salle de la presqu’île est pleine à craquer, et ça fait plaisir à voir. Comme toujours on se demande quelles seront les nouvelles options en matière d’aménagement des lieux et là encore les deux salles font miroiter deux beaux univers géométriques, un grand triangle qui pointe vers la figure centrale du dj dans le club et une foisonnante déclinaison d’octogones dans la grande salle. On est loin du détournement d’un Booba et si lutte il y a, c’est au service de la musique ! Trois de ces figures servent d’écran à un travail de mapping vidéo et sur les tréteaux techniques une envolée d’octogones, de différentes tailles décline la figure tout en donnant à l’ensemble de la scène une base harmonieuse. C’est efficace, épuré et cela prouve, s’il en était besoin que nos collectifs locaux maîtrisent pleinement l’animation et l’organisation d’une telle salle et savent même y donner un supplément d’âme bienvenu !
En entrant dans le Klub, quelle surprise que d’y retrouver Darkvibe. Je l’imaginais plutôt dans la grande salle, fidèle à sa verve esthétique, et quelle plus grande surprise encore que de l’entendre passer Your mind ( Adam Beyer, Bart Skils), le morceau le plus addictif que je connaisse. Cette nouvelle ouverture vers une scène plus deep house lui va à ravir et cela augure d’une belle ambiance dans cette salle apéritive avant le gros boum boum de la grande scène.
Ybrid et son sacre des tympans !
Pourquoi le cacher, c’est le retour de la trop discrète Ybrid sur une scène caennaise qui constituait pour moi le clou ( potentiel ) de la soirée. Je l’avais quittée il y a plus de trois ans avec un show aux sonorités aquatiques au BBC, et son nouveau live, hier soir, reprenait, en partie seulement, cette inspiration. Il n’y a qu’elle pour tisser un canevas aussi chatoyant derrière la fausse hégémonie d’un kick aussi lourd et basique à la fois. Toujours cette impression d’être à l’intérieur d’un sous-marin, avec ce bruit de sonde, et puis, soudain, comme échappées d’un orchestre symphonique en folie, des nappes de cordes qui envahissent la scène. C’est parti pour un rituel chamanique dont elle seule a le secret. Des voix, psalmodies bouddhiques ou païennes, trouent la toile d’abord opaque de l’ossature rythmique. S’échappent alors des rayons de lumière mélodiques qui sont autant de bouffées d’air ( et de vie) face à la rigueur martiale du kick. En déesse imperturbable d’un culte ancestral, elle balance sa musique comme un cri primal, mais avec le calme et l’assurance d’une prêtresse sûre de son dieu. Elle n’impose rien, n’inflige rien, mais elle suit, durant une heure hors du temps, une liturgie millénaire où la nuit combat le jour, la vie nargue la mort et la salle danse, applaudit, et plus que jamais la fête revêt avec elle un aspect sacré. Ybrid : la très grande classe, tout simplement !
Comme une passation bienveillante entre deux générations de femmes, Zélie se glisse à petits pas discrets derrière elle. Il fallait la voir se faire toute discrète derrière son pupitre devant cette déesse-mère qui faisait rugir ses derniers accords. Et puis, se lever, et à son tour, et imposer à la grande salle la vision toute en nuances de son style. On n’est pas là pour se compter fleurette et encore moins pour sucrer les fraises, c’est lourd, rocailleux mais avec toujours cet agencement subtil des plans et des masses sonores qui, ma foi, font un voyage dont on se souvient.
Dans le Klub, le Son du placard livre ses derniers soupirs et, aux dires d’amis, j’ai raté un moment fort. C’est la loi du genre dans ce type de soirée mais Grunch, avec l’aplomb qu’on lui connaît impose à son tour une virée clubbing qui flatte mes esgourdes tout en les nettoyant un peu du « brutalisme » trépidant de la grande salle. Un petit détour dans le fumoir, de nouvelles rencontres aussi fugaces qu’amicales et c’est au tour de Von Bikräv de livrer sa recette anti-morosité. Avec lui, on navigue entre gabber , indus, rap mais ce qui domine c’est la force de frappe de ses «vocaux ». Ça parle, ça hurle, ça rugit … rue de Turbigo, sirop, ça épelle comme ce R..A…G…E, ça menace …On va tout casser ! Mais derrière l’apparente punkerie foutraque des messages, c’est bien un processus subversif de déconstruction qui s’installe, un carnaval sous Bpm survitaminés où l’ordre doit, le temps d’une nuit, subir le pouvoir du désordre. C’est drôle, rageur et râleur à la fois, mais la musique de Von Bikräv est gorgée de fièvre et de fureur et gave à l’envi une salle qui se donne, s’abandonne sans retenue.
Obsolete d’un côté, Black Moon, de l’autre …les deux faces d’une même pièce que la nuit caennaise jette au ciel…