Et c’est donc parti pour la 17ème édition du festival Interstice !
Dix-sept fois déjà que David Dronet et Luc Brou nous invitent à entrer ( délicatement) dans l’actualité de la création des arts sonores, numériques et visuels. La démarche n’a pas changé : investir des lieux caennais pour y présenter ( du 2 au 14 mai) des œuvres inédites, poétiques, dérangeantes, éblouissantes mais toujours inclassables. De quoi flatter les yeux (mention spéciale cette année pour Red Horizon ( au CCN de Caen, rue du Carel) et son incontestable effet… d’impression rétinienne ; de quoi flatter (ou pas ) les oreilles, titiller le coeur ou mobiliser la tête. Pour le dire vite, Interstice se vit et se veut comme une promenade sensible dans la ville et dans l’art, noble et louable intention que cette 17ème édition vient à nouveau confirmer.

Murmurations et révolutions…

Un fil rouge qui unit ces 13 expositions nous est proposé par le festival : murmurations, révolutions. 
En ces périodes de crise politique, les révolutions proposées ici sont plus pacifiques et spatiales, ça tourne, ça tourne ( des 33 tours au Sépulcre -mais qui annoncent un possible tremblement), des écrans video immenses, au Conseil régional ; des toupies musicales qui se prennent pour des derviches 2.0 à l’Esam….
Mais ça murmure aussi, ca vrombit même et le point commun à tout cela ? Il faut plus de mots, de paroles, de discours que de temps pour être happé par l’immédiate empathie qui s’installe entre le public et les œuvres. La force d’Interstice, c’est de veiller à chaque fois à privilégier les sens et non les savoirs. Il n’est pas besoin d’être un connaisseur de l’art contemporain pour tomber sous le charme ( ou la saine colère) des propositions. L’oeuvre proposée vous-nous parle et s’il faut l’accompagner d’un discours, elle est très souvent suffisamment riche et complexe pour nourrir nos fringales intellectuelles. Et puis, on ne le redira jamais assez, toutes les manifestations dans le cadre d’Interstice sont gratuites. 

La ( grande) soirée Interstice.

Point d’orgue festif du festival, la soirée concerts-performances est l’occasion d’inscrire la présence humaine dans ces œuvres où très souvent la technique domine. Direction l’Esam, hier soir, pour une première performance  intitulée Livescape. Si le principe d’exécution n’est pas novateur ( les deux artistes produisent en direct des « bruits », frottements, grattements.. qui sont enregistrés et séquencés pour tourner en boucle), le dispositif de présentation des différentes zones de production sonore est harmonieux (un immense cercle autour duquel des spectateurs audacieux prendront place pour former une sorte de veillée préhistorico-numérique). Ce n’est pas « prise de tête » pour un sou, c’est parfois efficace en terme de kicks presque dansants et c’est même drôle avec cette plante verte ( naturelle) qui se retrouve à jouer toute la gamme des percussions, grosse caisse et snare compris. On le lit, ça peut faire sourire, on le voit, c’est irrésistible : la magie du live !

21 h, déplacement au Cargö ou de petits robots nous attendent. Ils sont au nombre de huit …huit petits robots trop « cute », qui changent de couleur au niveau de leur tête …de robot et qui, plus ou moins sagement, évoluent comme des Bambi hésitants autour d’un cercle de lumière au centre de la petite scène du Cargö. Un homme ( l’artiste Nao, créateur de cette performance The Clusters) s’installe au centre du cercle de lumière et, progressivement, nous donne (un peu) l’illusion de danser, de commander, d’agresser nos petits robots trop « cute ». Au sol , une video, rouge, bleue, envoie quelques messages plus ou moins subliminaux (don’t drink???) tandis que l’artiste avec ses geta ( je fais genre mais c’est Google qui me donne le nom des ces tongs en bois japonaises) entre en mouvement. La bande son,  de plus en plus martiale, semble obéir aux claquements des sandales, sans qu’on sache vraiment si la danse exécute ou accompagne le silence ou la fureur du bruit. Nos petits robots dansouillent vaguement mais le dispositif est suffisamment flatteur et « kawai » pour qu’à la fin des  quinze minutes on applaudisse ce moment entre Goldorak sous amphete ou nerd en transe orgasmique.
Dernière performance au programme, la venue de Lucien Gaudion, présent par ailleurs avec sa video Sama à la Bibi. On retrouve sa fascination pour  le son du  rhombe ( vous savez, cette lame de bois qu’on fait ronfler par rotation rapide au bout d’une cordelette). 
Point de rhombe pourtant sur la grande scène du Cargö, mais deux esquisses d’hélices métalliques. Les hélices tournent sur un axe horizontal et quatre micros captent le vrombissement ( la murmuration ?) de cette rotation, plus ou moins rapide. Deux douches de lumière sculptent le mouvement des hélices, tandis que Lucien Gaudion, côté cour « bidouille » quelques boutons pour nuancer (un peu) le ronflement soporifique des hélices. Quitte à évoquer le rotor d’un hélicoptère, on aimerait décoller un peu ! Je reconnais que je suis peut-être un peu blasé mais la proposition semble tout de même  minimale pour une show de conclusion dans la grande salle.

La fausse note NDK …

Partenaire du festival, le Cargö et sa filiale « electro » NDK, se chargeait de clore musicalement la soirée. Après les performances, et la douceur printanière de la soirée, rien de tel qu’une bonne petite sueur sur la dancefloor, surtout quand des pros s’en chargent !
Si on ne peut accabler NDK de l’annulation de Zohar ( un artiste qui fait faux-bond, ça arrive), que dire de cette nouvelle proposition de remplacement ?
Noise Diva donc, une dj venue directement des pays-Bas ( forte présence des artistes « bataves » cette année). L’entrée en scène est digne d’une diva et il fallait voir cette manière glamour à souhait, presque lascive, de la contempler saisir sa bouteille de Perrier, j’en frissonne encore ! Puis, Perrier posé ( avec élégance) la « diva » fait son intro, flatteuse j’en conviens, des sonorités langoureuses et emplies des épices du désert, on sent venir la danse du ventre …
Mais non ! Tout s’effondre, s’annule, se contredit. Une petite giclée de rap, une petite pincée breakée, de belles erreurs de calage, une invitation à la danse qui ne vient jamais et cette impression, de plus en plus forte, que la Diva se croit dans une boiler room et nous étale son petit bagage musical. Elle semble nous dire : « vous êtes venus pour faire la fête et danser, et moi je vous dis que non, vous allez écouter mes capricieuses arabesques de diva ! ». Perrier en mode glamour, nouvelle esthétique sonore tout juste esquissée, re-Perrier et ainsi de suite sans que jamais la sauce ne prenne entre un public pourtant conciliant et qui délaisse la piste, dans la totale indifférence de la Diva. Je quitte la salle, un peu ( beaucoup) en  colère et je n’oublie pas que, bien plus près de nous, une superbe DJ comme Dr Elfa aurait fait le job avec plus de classe et de talent.

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