Chaque année la “soirée” Cargö proposée dans le cadre du festival Interstice marque un peu le point d’orgue de la manifestation. 

Une nouvelle fois, à travers trois performances qui mêlent habilement ravissements sonores et plaisirs visuels, on retrouve la signature d’Interstice, faite d’audaces maîtrisées et de découvertes fascinantes.

À 20h 30, c’est dans la grande salle que ça se passe… Sur scène, la silhouette d’un homme, une petite table et les contours d’un ordinateur portable.  Le dispositif, minimal en diable, s’efface devant la force, et parfois la violence esthétique des images qui vont se créer au rythme de la musique. Aux commandes de cette performance, Maxime Corbeil-Perron qui, avec son projet Datum Cut – INEX-MATERIA, nous plonge littéralement dans un univers où musique et image dialoguent  (ou polémiquent ?). Les images évoquent très rarement des paysages ou parfois des visages mais ces éléments figuratifs disparaissent derrière des nuages de signes, de couleurs, de formes au point de se demander parfois si nous ne sommes pas sous les effets d’un puissant psychotrope. Sans aucune latence entre le son et l’image, l’écran reproduit la moindre variation rythmique et la décompose dans une sorte d’abstraction visuelle qui relève autant du rêve que d’un cauchemar de formes et de couleurs. Un peu comme son prestigieux aîné ( canadien lui-aussi) Norman McLaren, Corbeil-Perron fait chanter et danser la couleur mais  non plus sous la forme d’abstractions géométriques mais à travers des explosions de pixels qui se nourrissent ou se dévorent sous nos yeux. Des paysages hallucinants ( ou hallucinés) voyagent sur le grand écran et c’est un peu comme on si se retrouvait à l’intérieur d’une lampe Mathmos avec ses effets de lave. Loin d’être un simple habillage sonore, la création musicale projette, éclabousse la toile de ses éclats rythmiques et syncopés et met en évidence un titanesque combat entre la lumière et l’obscurité. Jusqu’au salut, l’artiste restera cette intrigante silhouette noire qui orchestre, commande et dirige le chaos. Comme dans les plus belles propositions d’Interstice, les mots sont besogneux et lourdauds pour tenter de retranscrire l’expérience saisissante de cette performance.

Après une petite pause bienvenue pour digérer la force de Datum Cut, c’est dans la petite salle du Cargö qu’on se retrouve. Plongée dans l’obscurité, la salle se réveille avec des flashs de lumière qui sont autant de réponses aux martèlements mélodieux ou bruitistes de Thomas Laigle. Réponses ou provocations ? Avec sa performance m-O-m ( musique – Orchestrale – magnétique) Laigle poursuit son travail qui fait dialoguer la lumière et le son. Sur un fond musical qui passe de la tentation electronica ( des nappes sonores sans tentation mélodique) à la plus radicale poussée noise ( le bruit brutal dans la plus simple expression d’un coup de marteau ), de simples ampoules montées sur un pied de métal zèbrent et fracturent l’obscurité de la salle. Si l’on ajoute à cela une brume tenace qui lentement emplit l’espace, on se retrouve vite dans une sorte de grotte envahie par les  éclairs et le bruits des enclumes d’un titan moderne. Là encore, l’immersion du spectateur est totale et il faut le voir ( le vivre) en direct pour croire et apprécier cette “cage” sonore qui nous plonge dans une sorte de caisson sensoriel. 

Dernière des performances, à nouveau dans la grande salle, le très “germanique” Moritz Simon Geist avec son projet Tripods one. Je suis très heureux de retrouver cet artiste qui, avec ce nouveau live, montre une nouvelle fois qu’il est le digne descendant de Kraftwerk, avec ce petit brin de folie Géotrouvetout qui singularise si bien sa musique. Autour de lui, un bric à brac de machines, de cloches ( sous verre) et de manche de guitare planté comme un totem dans la table. Sur l’écran, des ressorts, des lecteurs de pistes digitales oscillent ou vibrent au rythme exact de la musique ( une interaction constante dans les trois propositions). Lentement des boucles musicales ou rythmiques s’installent, disparaissent, se superposent. À ma droite, quatre ou cinq fêtardes ne résistent pas et quittent les chaises pour commencer à danser. J’avoue avoir attendu lâchement quelques minutes avant de les rejoindre et nous voici, une petite vingtaine à nous trémousser devant cet appel irrésistible devant les yeux peut-être envieux ou interloqués d’un public sagement assis. Il y a, dans la musique de Moritz Simon Geist une telle simplicité enfantine, une manière tellement naïve et primitive de construire un kick puis un “son” dancefloor que l’on ne peut qu’être happé par sa démarche. Il y a là comme l’enfance d’un art qui se déploie sous nos yeux, sous nos pas et qui nous emporte dans l’évidence d’un besoin : celui de communiquer tout simplement avec lui.

Pour finir, et comme l’année dernière, NDK ( le festival electro de l’automne piloté par le Cargö) nous invitait à découvrir Joanna OJ. Dans un set minimal avec des envolées parfois ( trop) précieuses, la dj française venait apporter une note très mentale à une soirée qui aura pourtant tenu son pari de ne jamais privilégier la “tête”.  C’est à travers cet équilibre constant entre émotion(s) et réflexion(s) que s’impose une fois encore Interstice !

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