Vous avez jusqu’à demain soir ( 19h au Studio 24 -l’ancien Panta) pour découvrir Les Ombres portées, un spectacle autour de la figure du grand photographe Tristan Jeanne-Valès, disparu récemment.
Le terme de spectacle -hommage serait maladroit et injuste d’ailleurs, pour définir ces cinquante minutes où se mêlent photos, voix et jeu théâtral. Conçu à l’origine par le photographe, il s’agissait de « mettre en scène » un dialogue entre des photos sélectionnées par Tristan et commentées, mises en contexte par des mots posés par le photographe lui-même, quelques temps avant de nous quitter. Nulle trace de mort, de nostalgie ou de regret dans cette initiative mais un troublant mariage avec le théâtre, quand on sait combien Tristan Jeanne-Valès entretenait un rapport ambigu avec ce théâtre qu’il aura pourtant photographié avec tant de grâce.
Annie Pican, la complice originelle de ce dernier projet, donnera corps à ce projet et avec Les Ombres portées nous propose la forme scénique qu’on sent proche du rêve de Tristan.
Laurent Frattale, un comédien qui a débuté sa carrière à Caen, se glisse dans le corps et la voix de Tristan. Plongé dans une pénombre qui rend justice aux photos délicatement projetées sur six écrans latéraux et qui détaillent parfois une grande image exposée sur un grand écran au lointain, Fratalle donne aux commentaires sensibles du photographe l’épaisseur grave mais contenue d’une sorte de berceuse. Sans appuyer ou commenter à son tour les anecdotes ou les aphorismes du photographe, il se « contente » avec un tact indicible de faire une voix qui entre parfois en écho avec la voix du photographe lui-même. On échappe ainsi au pathos pourtant excusé par avance pour cette équipe ( avec le videaste Pablo Geleoc) choisie par Tristan Jeanne-Valès. Si l’émotion est là elle est contenue et sans cesse tenaillée par la mise en scène sobre et juste d’Annie Pican. Les déplacements du comédien obéissent à des logiques que les photos diffusées font comprendre et nous font aussi voyager, en mots et en images, entre Lisbonne, l’Irlande ou les Balkans, des espaces rudes et chargés d’histoire qui illustrent si bien ce grand « taiseux » bougon qu’était Tristan. Aucune compassion formelle, aucune grandiloquence, aucune fioriture esthétique pour tenter de donner à ces Ombres portées une forme chic mais plutôt une démarche sincère et juste, toute entière marquée par cette volonté de maintenir un équilibre fragile entre recueillement poétique et amour partagé.
Pas besoin d’avoir connu cette grande figure caennaise pour aller voir Les Ombres portées, nul besoin aussi d’aimer la photographie, le théâtre puisqu’il suffit de se laisser porter par ces ombres, parfois noires ou blanches, parfois en couleurs et qui, avec les dernières paroles de Tristan trouvent ainsi une évidence encore plus juste, encore plus intime. Une manière douce et tendre d’entrer dans une vie …d’artiste.