Aujourd’hui c’est du côté du Sablier (Ifs) qu’il faudra se rendre pour une expérience « spectaculaire » inédite. On oublie donc, pour un temps, les cours de tricot des Boréales ( ils reviendront, comme les marrons, l’année prochaine ) et on embarque dans le vaisseau cosmique habilement construit par la compagnie Clair Obscur.
Depuis près de vingt ans, Frédéric Deslias et son laboratoire artistique ( le collectif Clair obscur) nous charment avec des spectacles qui dialoguent poétiquement entre théâtre, sciences et technologies. Proposée au Sablier, cette nouvelle création, # Drift ( à la dérive), est un spectacle qui lorgne vers le jeune public mais qui n’abandonne pas pour autant les préoccupations traditionnelles de la compagnie.
Comme souvent avec les créations de Deslias, il faut beaucoup de mots pour résumer un dispositif pourtant très simple. Hier soir, le spectateur était invité à pénétrer dans une grande bulle noire disposée à même le plateau, non sans être passé par un petit rituel qu’il serait fâcheux de dévoiler ici. Confortablement installé dans cette géode de tissu on découvre alors que celle-ci sert d’écran à une immense projection qui, de manière très réaliste, va faire de nous les « voyageurs » passifs et actifs d’une traversée cosmique aussi théâtrale que minimaliste.
Dans une fable dramatique réduite à sa plus simple expression, le public, néo-astronaute pour une cinquantaine de minutes, quitte la terre et le système solaire pour rejoindre l’étoile Trappist 1E, aux confins de notre galaxie. Au préalable, un casque audio fourni nous permet d’entendre aussi bien les consignes de vol portées par une rassurante voix masculine que les commentaires « live » de la capitaine du vaisseau, qui, telle une princesse des contes modernes, se réveille devant nous d’un long sommeil où les secondes durent des heures et les heures des années forcément …lumière ! C’est à la fois simple et didactique mais c’est avant tout l’expérience d’un voyage intérieur et statique durant lequel le spectateur se laisse sensiblement prendre à une sorte de rêverie intérieure, plongé dans le ravissement de cette bulle théâtrale. Les enfants, nombreux hier soir, sont sous les charme et la magie de la proposition qui fonctionne à plein et les adultes, entre expérience new-age et relaxation mentale, se laissent happer par la sérénité mélancolique de la capitaine-comédienne. Derrière l’apparente naïveté de l’histoire, on retrouve plus que jamais ici, avec les armes techniques et technologiques d’aujourd’hui, l’envoûtement des films de Méliès qui, lui aussi, nous faisait déjà voyager vers « sa » lune. Cette nouvelle science-fiction à hauteur du sol de la terre mais avec la tête dirigée vers les étoiles est une superbe aventure et redonne enfin à cette idée galvaudée de théâtre immersif toutes ses lettres de noblesse. Durant une petite heure ( mais des dizaines d’années à l’intérieur de la bulle Drift), cette expérience contemplative et poétique est de ces voyages qu’on ne peut oublier tout simplement parce qu’on ne savait même pas combien il était devenu nécessaire pour nous autres, terriens. N’est-ce pas là la fonction ancestrale du théâtre ?
Avec un peu de chance, ( la jauge est réduite ) il vous reste une possibilité de prendre un billet pour embarquer aujourd’hui et rejoindre Trappist 1E, dans le cas contraire espérons seulement que le vaisseau fera rapidement une nouvelle halte à Caen, ce n’est pas tous les jours, qu’on y propose une aussi douce invitation au voyage.