Hier, au Parc des expositions, se déroulait la première des deux soirées de ce tant attendu Sköll Winter Festival. Après des années d’abstinence, me voilà à reprendre une route marquée par les souvenirs de Nördilk tout en me jurant de ne pas céder aux pièges de cette tentante et facile nostalgie ( d’autant que les pompeuses dernières éditions n’étaient plus que l’ombre des grandes heures du festival).

Au-delà d’une communication maladroite et graphiquement peu convaincante ( ce loup en néon bleu manque tout de même créativité), j’étais et je reste dans le désir sincère d’accompagner une tentative artistique audacieuse pour replacer dignement Caen dans le circuit des grandes villes de l’électro, ne serait ce que pour honorer les artistes qu’elle abrite. Partagé entre doutes, confiance et enthousiasme possible, je pénètre dans le hall de gauche vers 18 h, histoire de soutenir, en parfait militant de la cause musicale locale les premiers artistes programmés. 18 h ! C’est tout de même tôt après une semaine qui vient à peine de se finir, aucun « sas » possible entre boulot et electro…..

Le hall d’accueil, froidement éclairé par les néons de service, abrite les commodités d’usage, bar, stands divers et l’inévitable passage par le guichet cashless. Aucune décoration particulière et surtout, le manque n’en deviendra que plus cruel au fil de la soirée, aucun espace Chill pour poser plus ou moins confortablement ses fesses. À près de cinquante euros la place, ce manque frise l’indélicatesse ou l’incompétence et le spectacle des «clients » assis à même le sol pour manger, boire ou se reposer donnait certes un côté « roots » prisé en son temps mais incompatible avec les standards d’un festival en 2024. 

Qu’importe le flacon de la salle commune, direction le hall central pour découvrir le « nerf » de cette nouvelle guerre electro caennaise. Pouvait-il en être autrement, à 18h le hall est désespérément vide, et les organisateurs semblent avoir pressenti la petite jauge puisque que la dernière moitié du hall est condamnée par des barrières anti-émeutes… L’option scénographique majeure est d’avoir installé la scène contre la verrière de l’entrée, perturbant ainsi notre connaissance habituelle du lieu tout en s’offrant le surplomb, au-dessus de la scène, d’une grande baie vitrée qui, à 18h, laisse encore passer la lumière d’un jour qui s’éteint. Quel dommage que de n’avoir pas exploité cette baie vitrée, au fil de la nuit pour y faire passer des effets de lumière ou mieux encore diffuser les noms des artistes ou, au pire le logo « basique » du festival. En se privant de cette hauteur et de cet écran naturel vers l’extérieur, la scène se retrouve très vite écrasée dans son horizontalité et développe, sans surprise, le charme d’une …scène banale. Véritable « plus » attendu pour un festival qui investit des espaces aussi grands, la scénographie ( installation et lumières) se doit de créer et de développer, au fil de la soirée, des images renouvelées. Hélas, et là encore, et je le constate à regret et sans plaisir pervers, il n’en sera rien. À droite et à gauche de la scène deux grands teepees métalliques soutiennent les enceintes  et encadrent une scène, sur un podium, où brillent deux rangées des néons-leds simplement posés sur des pieds de micro. Le « geste artistique » est paresseux et ne permettra au régisseur-lumière ( qui ne l’est pas moins) qu’une sempiternelle variation de teintes basiques ( blanc, rouge, bleu….). Une fausse débauche de projecteurs-lyre éclaire la salle en mode balayage défense anti-aérienne et …basta. Ah si, j’oubliais les chiches petits « prouts » pyrotechniques ( feux grégeois ou lance-flammes) qui ponctueront, en mode économie ou foire du trône, les kicks. Là encore, et j’en viendrais presque à m’excuser de l’écrire, on reste franchement  dans les limites basses de nos attentes pour un événement qui souhaite jouer dans cette catégorie. 

Pour ouvrir le bal, Kloster, que je parviens enfin à entendre, depuis le temps que je le côtoie au fil de mes soirées. Il donne, avec élégance, le LA de la soirée en plongeant les vingt ou trente présents dans une dynamique mais encore contrôlée montée en puissance rythmique. Il profite pleinement, et somme toute ce n’est pas rien, d’une flatteuse installation sonore qui fait résonner le Parc en respectant l’ensemble du spectre sonore, une promesse de qualité pour la soirée de samedi avec des artistes qui devraient flatter un peu plus les sinuosités mélodiques. Soirée hardcore annoncée, Kloster maintient cependant un dialogue subtil entre ses différentes pistes. On plonge, certes sans ménagement, dans les eaux froides  ( nordiques ?) d’un kick nerveux mais avec un certain égard bienvenu. Comme réglé par un coucou suisse, les changements d’artistes respectent à la lettre la Time table annoncée et Potzer prend le relais. Il commence à y avoir un tout petit plus de monde mais quel tristesse que de voir, une fois encore, que les artistes locaux ne puissent profiter de la présence et du soutien militant de la part des ami(e)s caennais. C’est peut-être cool de boire entre copains une bière à la maison avant de s’enjailler mais pendant ce temps-là le « soutier » de nos nuits caennaises dévoile son art devant deux pékins …  Espérons que le talentueux Matti, ce soir, ne connaîtrai pas le même sort ! C’est une intention louable que de programmer des artistes locaux durant un festival à prétention nationale mais c’est tout de même un peu petit bras que de les caser systématiquement en warm up. Passe encore si les supposés grands noms qui suivent servent de carte de visite pour enrichir le CV artistique des « locaux » mais que penser des mièvreries faussement aguichantes d’une Isabelle Beauchamp qui pense certainement que pousser Papi Chulo et autres petits tubes dance à des bpm extrêmes soit la seule nourriture possible pour les pauvres bouseux que nous sommes.

Potzer donc, et son entrée en matière symphonique en diable, avec toute la religiosité gothique qui sied. Sans vergogne, il s’installe dans l’esprit hardcore de la soirée même si, à 19h30, ses échappées viriles en bpm créent un étrange brouillard temporel, on sort à peine du taff et ça cogne comme s’il était trois heures du matin. De timides pets de lapin pyrotechniques apparaissent ( Kloster n’avait pas eu droit à cette prévenance) et on se rend vite compte que la tonalité générale de la soirée est posée, immuable et sans réelle surprise. Je dois bien confesser que cette musique hardcore n’est pas ma « came » habituelle, mais même à mon âge, je ne demande qu’à découvrir alors je mets de côté mes réserves et je profite du passage de Onelas pour m’imprégner de cette grammaire sonore. Là encore, ce membre du collectif Oiz n’a pas à rougir de se retrouver ici, ce soir et de balancer, devant une salle qui restera très modeste ( on sera bien loin des 5000 amateurs annoncés) ses bastons efficaces. 

Défileront ensuite, dans une prévisible surenchère kick, boom kick le reste d’un plateau artistique qui aura, je l’espère, contenté les réels amateurs du genre et peut être aussi un peu plongé les autres dans une sorte d’indifférence polie au fur et à mesure de la nuit. Certes les bricolages ultimes d’A5KM, à la fin de son set, laissent entendre des subtilités qu’on pensait, à tort, impossible avec ce style de musique mais El Desperado nous rappelle très vite au pragmatisme de la raison : il faut que ça cogne !

Fort heureusement, pour nettoyer un peu mes oreilles et mes yeux, le collectif Label Seven a eu la riche idée d’installer dans le hall d’accueil une insolite installation. « Lumineuse » idée que cet insolite arbre-tente de néon-leds et mieux encore que la proposition faite, à qui voulait, de s’initier aux balbutiements  de l’éclairage festif. Accompagné d’un dj ( comme je m’en veux de ne pas avoir osé demander son nom, de peur de le blesser en ne le connaisant pas, j’espère qu’il me pardonnera) qui improvisait un petit live je me suis éclaté durant une heure à éclairer une petite scène electro off qui, aux dires de certains, sonnait presque comme une alternative crédible. C’est certainement dans l’accumulation de petites animations de ce genre que réside la montée en puissance d’un festival qu’on le ne souhaite vraiment pas voir périr au bout de sa première édition, mais force était tout de même de constater, pour cette première nuit que nous étions dans la version la plus basique d’un grand festival. On verra par la suite mais il faudra convaincre et accueillir de véritables talents en com, lumières et programmation pour oser, enfin, jouer dans une catégorie annoncée un peu trop hâtivement.

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