Depuis de nombreuses années il est possible, à Caen, de voyager à travers les musiques du monde entier. Grâce à l’infatigable persévérance de Jean-Claude Lemenuel les « musiques du monde » se présentent à nous et ce avec les plus grands artistes. Asie, Afrique, Amérique(s), aucun continent n’est ignoré depuis que cette programmation ( gratuite) occupe les foyers du théâtre de Caen.
En plus de vingt ans, un public fidèle et connaisseur s’est construit même si, à l’image du public du Théâtre en général, il peine à se renouveler. La faute, peut-être, à une communication ronronnante… Samedi après-midi pourtant, le foyer se remplit en un clin d’œil, malgré la sévère concurrence d’un soleil printanier. Si les tempes sont plus que grisonnantes l’artiste au programme, Oua-Anou Diarra parviendra cependant à dynamiser l’écoute et à entraîner ce petit monde dans des moments d’intenses communions, participation chantante du public comprise.
Un concert donc, qui nous entraîne au Burkina Faso. Seul sur scène, l’artiste caennais ( encore une divinité méconnue de notre Panthéon local) vient nous présenter son nouveau spectacle sobrement nommé : Interface. Au fil des sept morceaux on ne peut que valider la pertinence de ce titre qui résume la volonté de Oua-Anou Diarra de dresser un pont entre deux mondes, celui des griots africains et celui de nos cultures musicales européennes.
Seul en scène donc, mais habilement accompagné par des boucles numériques qui installent un décor « rythmique » il nous fait entendre, en premier, cette flûte peule qui, entre ses mains, pleure, gémit, chante et (nous) parle dans la langue universelle de la musique. Évitant soigneusement le tour de force virtuose ( et Dieu sait qu’il en a les moyens) il maintient un savant équilibre entre de belles envolées blues et l’austérité grave de la plainte ancestrale jusqu’à ce moment central où éclatent les sanglots de la flûte.
Puis vient la folie n’goni. Cela vous donne tout de suite un petit côté France Musique que de nommer par son nom ce petit luth malien. Un n’goni donc qui, entre les mains du musicien-chanteur, devient diabolique tant il parvient à produire des sonorités qui dialoguent avec les plus riches enflammées d’un Jimi Hendrix. Cette musique qu’on croyait lointaine et exotique devient proche et familière tant elle hurle sa colère, sa joie et sa folie créative. Les têtes ( grisonnantes) sont sous le charme et dodelinent à l’unisson devant ce vacarme mélodique qui bouleverse si brillamment notre peinard petit samedi après-midi.
Dernier instrument à sortir de la hotte magique du griot un petit tambour qu’il porte sous l’aisselle avec l’aisance d’une Carla Bruni et son micro sac Dior. Frappé avec la main et un petit marteau, le tamani ( puisqu’il faut l’appeler par son nom) se met lui aussi à nous parler, presque au sens littéral du terme tant les voix oubliées ou ignorées semblent sortir de cette peau tendue. Certes la musique ne parle pas, et c’est toute la force de cet art, mais la musique, hier, aura entretenu un mélancolique et fragile dialogue avec le public. Avec Interface, Oua-Anou Diarra fait éclater les limites convenues de la World music et nous livre, en toute modestie mais avec une force indiscutable un musique pour notre monde, un monde où la folie d’aujourd’hui peut et doit encore résonner avec la sagesse millénaire des voix de l’Afrique.