Il est près de 23h quand je me dirige vers la fonderie. À la radio, l’annonce d’une attaque de drones sur Israël me sidère et me donne cette impression étrange d’aller danser sur un volcan. Ma mauvaise conscience se tait face au désir d’échapper à cette folie si lointaine et si proche de nous…
Face au BBC, la fonderie reste un lieu difficile à apprivoiser pour qui souhaite y proposer un événement musical. Avec son esthétique de boîte à chaussure, couleur beigasse des murs en prime, et son acoustique de salle des fêtes, c’est un lieu ingrat. Si l’on ajoute à cela l’incompréhensible concurrence d’un Cargö décidément peu inspiré dans sa programmation (tardive) et dans sa stratégie artistique ( une soirée estampillée NDK sans saveur et sans relief), on se dit que le collectif OIZ, organisateur de cette Implosion IV accumulait les défis mais force est de constater qu’ils seront relevés avec honneur et brio.
L’idée géniale, visible dès l’entrée : placer la scène au centre de la salle. Tel un ring de boxe entouré de quatre colonnes techniques, la scène centrale permet au public d’évoluer tout autour des artistes et de profiter d’un effet « 360 ° » qui nous permet, avant toute chose de concentrer notre regard et de ne pas trop nous perdre dans la froideur blanchâtre des murs de la salle. Si le dispositif n’est pas forcément original, il s’impose ici par son évidence tant il parvient à donner une âme à cet espace. Au fil de la soirée, on se rend très vite compte du deuxième avantage de ce dispositif puisque qu’il sera possible, selon les envies ( ou la volonté de détruire ses oreilles) de glisser devant ou derrière la scène pour profiter d’un volume sonore propice à la discussion ou à des sensations physiques de basses qui viennent chatouiller votre plexus. Quelques esprits plus ou moins chagrins regrettent ces différences sonores puisque l’essentiel de l’énergie musicale est bien projetée du lointain de la salle, mais pour ma part j’ai goûté avec plaisir ces différentes zones sensorielles et plus encore l’équilibre chaleureux du spectre musical. Pour augmenter le volume ressenti, il suffisait de tourner et devenir ainsi l’acteur d’un « potard » intérieur.
Si l’éclairage de la scène est souligné par des rampes lumineuses, l’essentiel de l’architecture lumineuse est assuré par une série de lasers qui, placés aux angles stratégiques quadrillent et strient la salle. Selon les tensions musicales, se joue alors un très beau travail qui mêle aurores plus ou moins boréales à des fils lumineux qui dessineront des zones géométriques tout en plaçant les musiciens au centre d’un dôme de lumière. Un superbe travail qui, avec l’économie contrainte d’un collectif, parvient à sublimer une salle qui n’attendait que cela.
Avec une programmation débutant à 18h, il y avait là de quoi découvrir la fine fleur montante de la scène locale ( Möka en tête ) ou de retrouver des valeurs confirmées ( Tib’z et R’1 en complicité).
Vers 23h, c’est Matti, tout en majesté, qui officie. En quelques mois, après un passage mémorable au château de Creully puis en warm up au Sköll, Matti prouve une nouvelle fois sa dimension incontournable avec un set aussi racé que subtil. Loin de jouer les gros bras avec un son qui pourtant envoie du lourd, il installe l’imperturbable linéarité de ses kicks, et sur cette base qui pourrait très vite devenir monotone ou convenue, il avance, retire, ajoute des motifs rythmiques et parfois mélodiques qui, avec la patience d’un chat sûr de son fait, vont avaler toutes les petites souris. Il évite soigneusement tous les pièges de cette techno un peu « hard » qui délaisse trop souvent la subtilité au profit d’une efficacité un peu trop putassière. Carton plein donc, et la salle ( bien pleine et tant mieux) témoigne d’une évidente complicité qui fait plaisir à voir.
Sans jouer la transition, et après quelques très courts instants de silence, Peck prend le relais et, à l’image d’une de ses pistes gonflée aux hormones d’un bpm galopant, I wanna go bang avec lui. On perd un peu l’esprit original de Bjarki mais on gagne en énergie, une énergie qui, tout au long d’un set labyrinthique et survolté, aura proposé un tour de manège aussi jouissif que virevoltant.
Le duo Blame the mono ( BTM pour les intimes ), tête d’affiche de la soirée, peut alors dérouler son impressionnante machinerie. Petits Parisiens montés à Berlin, les deux musiciens nous reviennent avec une science qui fait honneur au genre. Ça démarre sur les chapeaux de roue avec une maîtrise consensuelle des attentes et des audaces, du vrai travail de pro, qu’attendre de moins d’une tête d’affiche ?
Même si la tentation aura été forte de scruter le téléphone pour suivre l’évolution de la folie du monde, je ne peux que remercier Oiz pour ce beau moment en apesanteur. On murmurait, ça et là, hier soir, qu’un autre événement electro herouvillais dans les semaines qui viennent entrerait à nouveau en «conflit » avec une proposition inédite sur la scène de la presqu’île … Avec ses « petits bras » et son ingénieuse équipe artistique, Oiz aura pourtant prouvé, avec un pacifisme à relever, qu’il est des combats médiocres que de grosses scènes caennaises peuvent perdre… à méditer pour la suite !