Une nuit avec …un nouvel esprit qui souffle sur le Cargö
Hier soir, une grande partie du monde de la nuit electro caennaise se retrouvait au Cargö. Au programme, rien d’autre que la promesse ….d’une nuit avec Tommy Four Seven ! Figure incontournable de la scène européenne, sous des alias divers et petit protégé de Chris Liebing, on attendait beaucoup de la venue de Tommy, d’autant plus qu’on en “prenait” pour trois heures, un format inedit pour les soirées Cargö.
La bonne idée de cette nouvelle proposition de la Smac aura été de confier au jeune et impétueux label caennais Senary une totale carte blanche, l’occasion pour ce collectif de confirmer ses points forts tout en dévoilant quelques petites “nouveautés”, tout en bénéficiant du produit d’appel de la grande salle.
Arrivé dès 11 heures du soir, je confesse m’être rendu aussitôt dans la grande salle pour découvrir le warm-up de Lisa Lisa. Plongée dans une obscurité absolue ( ou presque) durant son set, c’est l’occasion parfaite pour se débarrasser de “l’image” et entrer dans son montage introductif. Lisa Lisa se glisse avec aisance dans ce qui sera l’esprit de la grande salle, mais elle le fait avec sa sensibilité où éclate plus que jamais une sensualité musicale qui n’oublierait pas pour autant le diktat impitoyable du kick. Pour reprendre le mot de Cocteau à propos de la comédienne Marlène Dietrich, on pourrait dire que le set de Lisa Lisa débute comme une caresse pour finir par une claque magistrale. C’est un set qui assume pleinement sa place d’ouverture et qui pourtant laisse “infuser”, touche par touche, la signature sonore de Lisa Lisa, à savoir une forme de fausse ingénuité qui assume à la fois pleinement la recherche d’une efficacité dancefloor tout en construisant un parcours hédoniste et sensible. La grande salle, même dans son obscurité devient ainsi l’écrin idéal pour que s’exprime la jeune Dj qui laisse ensuite la place à Electric Rescue. Avec son CV techno qui pourrait faire rougir d’envie (ou de honte) plus d’une jeune gloire, cet activiste de la scène electro sévit depuis plus de 20 ans, et ce soir encore, il nous aura montré son indéniable science du montage sonore.
Les lumières se réveillent enfin. Parlons-en de ces lumières. Les projos sont installés sur quatre perches qui descendent des cintres du devant de la scène et rejoignent le lointain. Quatre bandes d’effets lumineux qui sont tous pointés sur la salle et où s’imposent, assez vite, l’effet hypnotique du stroboscope et celui des balayages intrusifs de la salle. Les artistes se découpent à peine sur une scène presque toujours dans le noir et on finit assez vite par se lasser de cette grammaire visuelle qui, si elle accompagne habilement le son, s’épuise rapidement en raison d’une absence criante d’éclairage “face”. Heureusement que dans la petite salle, le club, Senary mise sur un dispositif plus développé, mais j’y reviendrai.
Electric Rescue explore encore et toujours, durant l’ensemble de son set, une sorte de Graal minimaliste avec une pauvreté de boucles qui laissent le champ libre à l’énergie percussive. On sent (et peut être on comprend) l’artiste qui, fort de ses 20 ans de scène, sait parfaitement tenir à bout de bras l’audace de la recherche du son juste tout en relançant systématiquement l’énergie de son message par des attaques efficaces. C’est euphorisant en diable et ça n’empiétera jamais sur le “guest” qui s’annonce : Tommy Four Seven.
Trois heures c’est bon (mais c’est long !)…. De cet artiste, je gardais le souvenir d’un closing au Berghain ( je sais, ça fait un peu j’me la pète) et j’étais assez content de profiter (longuement) de sa venue à Caen. Dès son entrée en scène, il balance tout, tout absolument tout et on entre, comme par effraction, dans son architecture où domine cet appel des sonorités industrielles. Au bout de trois heures, on revient au point de départ, dans ce “cycle” complet qui caractérisera son set, se demandant encore si on a fait du “sur place” où si le voyage auquel il nous conviait n’était pas à prendre avant tout comme une immense pulsation rythmique. Je suis de plus en plus perplexe devant ce minimalisme de la boucle musicale et devant cette fuite en avant de la seule efficacité au détriment d’une certaine subtilité mélodique ou même dans le découpage des kicks omniprésents, mais c’est la grosse tendance, alors on se s’ennuie un peu et on se dit que, comme toutes les modes, ça va passer….
Angseth en closing, ça donne quoi ? On sait ici l’estime que j’ai pour ce dj, à mes yeux trop discret et trop rare sur des événements locaux de cette taille. En le retrouvant ici dans un délicat “closing”, il aura prouvé, s’il en était besoin, sa formidable malléabilité musicale. De l’esprit Tommy, il conserve naturellement l’exigence du kick, mais tout au long de cette dernière heure, il ne cesse d’alimenter la “grosse caisse” avec des apports mélodiques. On voyage, entre un nord brumeux et un sud africain et chaloupé. Et puis, sans honte ni fausse pudeur, Angseth se donne le temps d’une suspension pour qu’éclatent ensuite de nouvelles combinaisons percussives qui enthousiasment la salle. Niché sur les gradins, j’observe une salle acquise et conquise, avec qui sait, cette petite pointe d’orgueil qui me fait dire : je vous l’avais bien dit ; Angseth est un nom qui compte ….
L’esprit Senary triomphe….
Autant l’avouer, je suis resté un peu scotché dans la grande salle, enthousiaste avec Lisa Lisa, intrigué avec Electric Rescue, confus avec Tommy et complice avec Angseth.
Dans le club, on est heureux et surpris de voir le simple mais réjouissant habillage visuel concocté par Senary, et cette mention spéciale pour le travail de Vjing qui tout au long de la soirée, nous réservera quelques belles surprises, comme ces gargouilles de Notre-Dame qui s’embrasent dans un feu numérique. Cela tranche habilement avec l’austérité janséniste de la grande salle, et c’est un peu cet esprit Senary qui se donne à voir ici, cet esprit “acid” où domine une légèreté désinvolte et une camaraderie qui laisse la part belle à la dynamique collective tout en bridant soigneusement les égos démesurés ou les “produits” star. Qui d’autre que Senary pouvait ainsi assumer le risque de présenter ( quasiment sur les fonds baptismaux) une jeune équipe comme Merging Programs, trois “barjots” cagoulés. Derrière le côté potache de la prestation il y a une énergie qui ne demande qu’à se dévoiler. Malheureusement je ne suis resté qu’un tout petit moment mais ma curiosité n’en est que plus grande pour les entendre dans un format moins concurrentiel.
Sans les réduire à ces quelques figures, Senary c’est avant tout Vertuoze, Jeopardize et Skinzag, soit un trio gagnant et ce soir, ils brillent, avec leurs atouts respectifs et cette belle plus-value d’un son parfaitement réglé (contrairement à la grande salle ou persiste, comme toujours, ce “trou” dans le spectre). S’il ne devait y avoir qu’un indicateur pour juger de l’ambiance (et donc du contrat artistique, rempli ou non), il suffisait de passer dans les deux salles et de constater, que tout au fil de la soirée, ça bouge, ça rit, ça vit plus intensément dans la petite salle que dans la grande, peut-être parce que l’enjeu y est moins académique, plus insouciant, même si les exigences artistiques n’en sont pas négligées pour autant.
On pouvait craindre, par exemple, une sorte d’inutile compétition finale entre Vertuoze et Angseth , deux pointures locales, mais Vertuoze, fidèle l’esprit acid qui l’anime depuis toujours, galvanise une salle qu’il maîtrise d’une main de fer et la “compétition” n’existera que dans l’esprit de celles et ceux qui confondent bac à sable et recherche musicale.
Une belle nuit donc que cette nuit offerte par le Cargö et la preuve, s’il en était besoin, que la nouvelle équation affirmée de la Smac (mixer des grands noms de la scène européenne avec des artistes locaux) est une martingale gagnante !