Lundi soir, au Centre Chorégraphique, ça parlait culture, l’occasion pour cinq listes candidates de présenter un éventail plus ou moins réalistes des projets culturels à réaliser durant la prochaine mandature. C’est long, très long, et on retrouve, le plus souvent, le catalogue fastidieux et paresseux de la langue de bois culturelle avec son inévitable apologie de la friche, du tiers-lieu, de la culture populaire, du pass culture….Bref le prêt-à-penser de la bienséance, avec ce qu’il faut de pensées émues pour les ouvriers, les jeunes, les pauvres, les quartiers, les artistes, et quand ils sont émergents c’est encore mieux, les festivals, l’art dans la rue, l’art dans les prisons, l’art dans les écoles…. n’en jetez plus ! Le débat vire au cauchemar poussif malgré quelques rares interventions réalistes, rapidement balayées par le rouleau compresseur d’un discours politique local qui signale une nouvelle fois son indigence ou sa suffisance. Les urnes trancheront mais qui osera dénoncer cette morne tristesse qui, lundi, faisait entendre sa pauvreté utopique et poétique ? 

Au même moment, comme surgie de nulle part, on apprenait une heureuse initiative engagée par les principaux acteurs de la scène electro caennaise. Dans une complicité qui fait plaisir à lire, ils prenaient à parti ces mêmes candidats à travers une lettre publique qui expose clairement la situation actuelle de ce secteur culturel. Je reproduis ici ce “manifeste” avec la ferme conviction qu’à sa manière il contribue à élever considérablement ce nécessaire débat.

LETTRE OUVERTE AUX CANDIDATS SE PRESENTANT AUX ELECTIONS MUNICIPALES

DE LA VILLE DE CAEN

Mesdames et Messieurs les candidats ….

C’est à travers une lettre publique que nous souhaitons vous interpeller. Derrière ce « nous » il y a près de 150 personnes issues d’une quinzaine de collectifs œuvrant toute l’année pour la diffusion des musiques électroniques sur le territoire caennais. Nous ne voulons pas prétendre ici avoir le monopole de l’animation de la « nuit » caennaise, mais à travers nos soirées et nos manifestations nous contribuons, jour après jour, nuit après nuit, au dynamisme et au rayonnement de la ville que vous envisager d’administrer pour les six prochaines années. 

Nous souhaitons profiter de ce moment démocratique que représente l’élection municipale pour vous soumettre quelques questions urgentes sur le devenir et les enjeux de nos activités et plus encore sur les conséquences d’une absence de réponses politiques aux interrogations précises que nous portons à votre attention. 

En à peine trente années, les musiques électroniques sont passées d’une obscurité d’initiés à une forme incontestée et consensuelle dans les pratiques culturelles. Pour les artistes et les médiateurs de cette expression musicale se pose aujourd’hui, en 2020, une question simple et vitale. Peuvent-ils espérer profiter de la dynamique militante qu’ils entretiennent et alimentent depuis des années pour faire de Caen une plate-forme artistique exigeante et reconnue de ces musiques ? 

Pour que cette dynamique musicale puisse se développer et que des expressions esthétiques puissent   naître, vivre et s’exprimer à Caen, il convient avant tout de nous considérer enfin comme « majeurs », non pas au détriment des autres expressions artistiques, mais avec le respect d’un traitement identique. 

Forte de ses nombreuses salles de spectacle, Caen ne peut ignorer plus longtemps que ces salles nous sont pour la plupart interdites, soit par indifférence ou méconnaissance esthétique, ou pire encore en raison de modes de location qui fragilisent encore plus notre économie strictement associative ! Il nous manque (mais cette demande dépasse largement le cadre des musiques électroniques pour s’élargir au champ de toutes les musiques actuelles) un espace (une salle ?) de jauge moyenne (150 à 400 spectateurs) pour accueillir et construire une programmation régulière tout en installant des habitudes de découvertes, d’éveils et de sensibilisation. 

S’agit-il d’une salle à construire, d’une salle existante dont il faudrait repenser les missions prioritaires, d’un dispositif de salles « tournantes » dans le réseau repéré qui peut (doit ?) même passer par les salles confiées aux MJC locales, il ne nous appartient pas de le dire. 

En revanche cette question des lieux d’expression de notre art est prioritaire et la condition préalable à toute professionnalisation des artistes émergents. 

Si pour des raisons historiques et culturelles nous pouvons comprendre qu’il est prématuré d’envisager un soutien par une forme de subvention artistique (des décisions qui impliqueraient d’autres acteurs institutionnels) le futur maire de Caen peut en revanche avoir (ou pas?) un rôle décisif dans ce moment historique que traverse notre mouvement musical. Soit il accompagne notre expansion dans son esprit associatif en assurant une meilleure régulation de l’accès aux réseaux de salles existantes soit il nous enferme définitivement dans la logique du secteur privé (et marchand) en stoppant net la fragile mais indiscutable émergence d’une scène « electro » caennaise. Nous ne nous installons pas dans une logique de chantage mais bien plus tristement dans celle de notre survie, en nous refusant de penser que la seule réponse que nous pourrons apporter aux artistes que nous représentons soit celle de l’exil. 

P.S : Cette « lettre publique » constitue le premier acte de préfiguration d’une prochaine Fédération Locale de la scène Electro qui entend regrouper sous une appellation unique les différents acteurs de ce mouvement. 

          Les collectifs, associations et artistes signataires :

M.A.D Brains No One Like Us

Factor i Oiz

Senary Kromatick  Krew

Vnion Bratfair

Vinyle Mobile Lisa Lisa

Solar Family Angseth

Ipnotika Unit Andromeda

Hardcore France

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *