Les Oiseaux de la nuit : série d’entretiens avec celles et ceux qui enchantent la nuit caennaise.

Les Oiseaux de la nuit # 1 Jérémie Desmets : un nouveau capitaine pour le Cargö.

En me lançant dans ce nouveau volet éditorial de Cave Caenem, je souhaitais avant tout offrir un nouvel espace de discussion et permettre à toutes celles et ceux qui animent la vie culturelle et la nuit caennaise un moment dégagé de toute actualité promotionnelle pour présenter la « philosophie » même de leur engagement. Je ne peux que remercier Jérémie Desmets de s’être prêté à cet exercice inédit pour moi : celui de l’entretien.

Jérémie Desmets, donc, pour débuter. Installé à Caen depuis quelques semaines, il est le nouveau directeur de la SMAC, un acronyme que personne ne connaît (mais qui a son poids) ou, plus simplement, du Cargö. L’arrivée d’un nouveau directeur, c’est l’occasion impérieuse de tourner une page, celle des années de « dérive » d’un Cargö en proie à de sérieuses difficultés financières et privé, pour un temps, de tout gouvernail directorial. Pas question, pour moi, de lui faire commenter cette situation qu’on espère révolue, mais en revanche, une curiosité intéressée (j’assume cet adjectif) pour connaître la feuille de route de ce nouveau « capitaine » d’un bâtiment culturel qu’on souhaite tous voir sortir du quai.

L’homme est affable, et l’accueil, au-delà des mondanités et de la bienséance, complice. La quarantaine dynamique, il se présente assez vite comme un membre de cette nouvelle génération de directeurs de SMAC (on y revient) qui, après les désormais « papys-rocks » associatifs des origines, entendent désormais placer ces Salles des Musiques Actuelles ( les fameux S, M, A, C) dans une dynamique nouvelle. Trois semaines à peine après son installation, il serait stupide d’exiger la présentation détaillée d’un programme et le nouveau directeur se garde bien, par ailleurs, de livrer des noms, des actions précises. En revanche, deux heures d’entretien auront permis de mieux cerner la nouvelle philosophie qui pourrait être celle de l’action culturelle du Cargö dans les prochaines années.

Jérémie Desmets : la Colombe ….

Quand il s’agit pour le nouveau directeur de clarifier la nouvelle ligne éditoriale du Cargö, on en reste forcément encore à des informations générales et généreuses d’où se détachent pourtant quelques principes. Tout en déclarant être « garant d’une ligne artistique », Jérémie Desmet n’oublie pas de préciser qu’il fait partie « d’une nouvelle génération de directeurs, avec des modèles de direction nouveaux ». Derrière ce message un peu formaté, on entend cependant bien chez lui une volonté d’imposer à son équipe une diffusion et une présence plus large, plus visible, aussi bien dans l’univers de la création musicale régionale que dans les différents réseaux qui structurent les musiques actuelles. Qu’on se le dise, le Cargö est (enfin) de retour !

Autre motif récurrent au fil de cet entretien, une volonté affichée de participer activement à l’activité de la scène culturelle et de placer les musiques actuelles en porte d’entrée « évidente » à toute interrogation citoyenne, sociétale voire philosophique. Quand je lui fais remarquer les limites de cette audace à la transversalité, l’intéressé s’en sort avec une pirouette habile : «  on a oublié qu’on était des lieux de vie.. ». S’il n’entend pas encore être le nouveau Jo Tréhard ( les plus anciens se souviendront de l’ancien directeur de la Maison de la Culture, et plus encore de sa chute), il se donne pourtant le temps de rencontrer les autres acteurs du terrain et semble visiblement conscient de la nécessité si ce n’est d’animer, du moins de participer activement à une émulation nécessaire de la vie culturelle caennaise enfermée depuis des années dans des chapelles étanches ou ronronnantes. Des chapelles qu’il ne connaît pas encore et que sa diplomatie naturelle empêcherait certainement de nommer ainsi mais qu’il ne manquera pas de découvrir.

Le Cargö et l’ADN electro ?

La remise à flot du Cargö passe par une réaffirmation de son identité artistique. En m’annonçant un peu trop rapidement que « l’electro était dans l’ADN du Cargö « , il ne pouvait que s’attirer une rectification historique. S’il est vrai que le festival Nördik était piloté par une association ( Arts Attack) depuis sa création, mes nombreux billets depuis des années nuancent cette affirmation et il était bon de rappeler les difficultés des collectifs «electro » locaux pour accéder à cette salle. La vivacité de la vie «electro » caennaise résulte peut-être de la dynamique du festival mais pas nécessairement de la politique à l’année de la salle du Cargö. Les choses devraient changer et le nouveau directeur annonce très clairement sa volonté de « co-organiser » des événements « electro » avec les associations locales.

Par ailleurs il souhaite qu’autour du festival NDK (la nouvelle mouture de Nördik) se décline tout au long de l’année une série de temps forts et là encore dans un souci de transversalité et de complémentarité avec les artistes locaux et les autres structures au centre des enjeux numériques ( Le Dôme, Obliques, Interstice…). Le discours, si oecuménique soit-il, a le mérite de développer à l’infini la ligne, plus générale encore, de la nouvelle direction, à savoir celle de la « main tendue ».

L’expression, très largement utilisée par Jérémie Desmet, et conjuguée dans toutes ses implications, peut paraître habile ( ou naïve) mais on sent clairement une sincérité qu’il serait prématuré ou injuste de condamner par avance.

« Ouvrir et démultiplier les chantiers de création »….

Cette « main tendue », elle l’est prioritairement en direction des artistes de la scène musicale. En annonçant qu’il souhaite réserver «  entre 70 à 80 jours de résidence-plateau pour des chantiers de création », il marque clairement une rupture avec un schéma précédent (il annonce des chiffres qui étaient plus proches de 20 jours à l’année auparavant). Il est trop tôt pour donner des noms, où même des esthétiques qui bénéficieront de cette nouveauté mais on sent bien ( ce sera répété à trois fois, comme un mantra : création, création, création…) un désir affirmé de sortir d’une logique de « garage » pour, là encore, occuper une place indiscutable autour de la grande table de la vie artistique caennaise ou normande.

Par ailleurs, le nouveau directeur revendique une volonté d’ouverture vers le jeune public, vers le théâtre, la science, les arts numériques, avec comme porte d’entrée logique et cohérente la dimension populaire et fédératrice des musiques actuelles.

« Je reveux de l’analo et de la guitare…. »

Comme un cri du coeur, Jérémie Desmet avoue son désir de renouer avec une scène plus « analo ». Pour les moins rompus à cette appellation technique, on peut dire qu’il s’agit de faire entendre un instrumentarium plus classique ( la bonne vieille « gratte »), des instruments simplement amplifiés, avec ce « grain » dont il semble nostalgique. A l’heure où la moindre voix vocodée fait grimper les « like » d’une jeunesse éprise de sa propre modernité, on se demande un peu comment et où trouver les artistes à même de répondre à cette envie tout en ne baignant pas dans une vision fossilisée d’une pop-rock désincarnée ou mythifiée, mais Jérémie Desmet semble prêt à relever ce défi.

S’en suivent alors quelques longues minutes durant lesquelles la parole du directeur se veut presque programmatique. En abordant la question des liens à tisser, à renouer avec les autres Smac de la région, il en vient à développer une nouvelle logique de collaboration qui se voudrait une alternative vertueuse à la désormais classique course entre concurrence et exclusivité. Des niches musicales, des collaborations nouvelles sont donc en cours de réflexion, le tout associé à une possible ouverture lors de sessions publiques les dimanches, entre 10 et 18h sur des formes à la fois musicales et d’animation plus larges. Bref, une envie certaine de bousculer un peu nos habitudes de consommateurs de biens culturels calibrés et de nous inviter vers des chemins de traverse qui restent à définir mais qui, là, encore passeront par des actions communes avec les autres acteurs de la Presqu’île.

Quel Cargö dans dix ans ?

Après un hommage appuyé au travail de transition effectué par Philippe Berthelot à la suite du départ de l’ancien directeur, Jérémie Desmet répond à ma question sur sa vision idéale d’un Cargö dans dix ans : «  Si on arrive à concrétiser cette phase de mutation, mon désir c’est qu’on soit vraiment un lieu de création (…), ça chamboule un peu mais je vois vraiment que l’équipe a intégré cet esprit que je souhaite installer…. ». Plutôt que de commenter l’hypothèse ou le pari initial contenu dans ce « si », on perçoit dans cette « rêverie » future une volonté ferme de redynamiser une équipe et de le faire à la fois dans un souci d’apaisement mais aussi d’annonce d’une direction claire. Puis, comme une petite musique, mais peut-on attendre autre chose d’un directeur de Smac, on entend à nouveau cet « enjeu fort et sociétal à recréer du lien... » qui articule et structure tout cet entretien. En d’autres temps, et sans la crise que vient de traverser le Cargö et plus largement le monde du spectacle, j’aurais pu me gausser d’une telle ritournelle aussi banalement consensuelle mais force est de constater que l’énergie et la sincérité mises à reprendre ces termes forcent un peu l’admiration et l’on se plait à espérer que nous tenons peut-être là, enfin « the right man at the right place ». Si les paroles sont posées et pesées, elles se heurteront bien vite à la réalité des actes mais le paysage culturel caennais compte désormais une voix supplémentaire et il nous tarde à tous d’en connaître l’efficience et l’impact.

3 Replies to “Un entretien avec Jérémie Desmet, le nouveau directeur du Cargö”

  1. Il sera intéressant de faire et proposer un droit de suite autant pour l’interviewé que pour la rédaction dans un an. Non pas pour constituer un tribunal façon M Le Maudit mais pour offrir un autre espace d’échange (public).
    Par ailleurs et comme le veut l’usage, il est normal d’offrir au nouveau venu les meilleures conditions de travail possible, en prenant en compte notre réticence locale à l’ouverture spontanée et naturelle.

    1. Le droit de réponse fait évidemment partie de la formule initiale ! Et pour les réticences locales elles sont souvent plus intériorisées que reélles, non ?

      1. Je l’espère mais il y a peu d’espace pour l’erreur. Quand tout va bien c’est formidable. Et nous avons tous besoin que ce le soit. Voilà une saison qui s’annonce dense et intéressante pour tout le monde.

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