Féeries à tous les étages : une soirée dans la plus pure des traditions d’Interstice

Dans notre malheur post-Covid, on peut se consoler en se disant que durant cette saison 21-22 on aura droit à deux grosses soirées Interstice, l’une lors de cette session de rattrapage et l’autre, comme annoncée, lors du retour au calendrier « naturel » du festival, entre avril et mai 22. 

Mercredi soir donc, il fallait se retrouver du côté de la presqu’île pour goûter pleinement aux festivités concoctées par Interstice, des festivités, faut-il le rappeler gratuites, populaires et exigeantes à la fois, l’alliance de ces trois termes n’allant pas toujours de soi ! 

Après le « pot » d’accueil, très prisé par les étudiants de l’Esam, direction la salle de cette même école des beaux-arts pour découvrir la « lecture » du Salammbô de Flaubert proposée par Jacques Perconte. Année Flaubert oblige ( avec quelques jolies subventions de la Région à la clé) il fallait bien l’opportunisme mercenaire de quelques artistes pour glorifier dignement ( ou non ) le papa d’Emma. Jacques Perconte, très en vogue, pour un temps, dans les festivals « hype » s’attaque au plus délicat des romans de Flaubert, Salammbô, vous savez ce roman dont il est toujours très chic de citer la première phrase : “ C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar… ». En guise de Mégara, Perconte s’est égaré ( oh le mauvais jeu de mots) dans une divagation numerico-visuelle, pixelisée à mort ( la marque de fabrique du cinéaste) durant laquelle le pauvre spectateur cherche désespérément un lien entre musique ( une partition au lyrisme post-moderne un peu lourdingue d’Othman Louati mais très bien défendue par la trompette affûtée et franche de Noé Nillni), les images ( un beau profil de cheval qui se désagrège assez subtilement devant nos yeux, suivi de survols du panorama normand – ah ou, je sais Flaubert, c’est la Normandie ….). Un  écran, étrangement coupé au deux-tiers, quarante minutes d’ennui souverain mais …chic. Pour reprendre la plus célèbre des imprécations de Flaubert dans le Dictionnaire des idées reçues : “tonner contre !”, ou mieux encore, à l’entrée “arts” du même dictionnaire “ Sont bien inutiles, puisqu’on les remplace par des machines qui fabriquent même plus promptement..”

On quitte, un peu penaud l’Esam pour rejoindre le Cargö, juste à côté, et découvrir trois propositions, dans le plus pur esprit du festival.

Dans la grande salle donc, en premier, vingt minutes qui ne feraient pas tâche dans un Crazy Horse privatisé pour l’occasion par Arte : Michela Pelusio, une artiste italienne nous invite à altérer “notre perception de l’espace, du temps et de la matière et (à) trouble(r) notre rapport à la réalité” comme le dit le très précieux catalogue d’Interstice (en vente -5 euros). Une corde, au centre du plateau, est agitée par d’incessantes rotations et éclairée par un dispositif stroboscopique. Se dessinent alors, sous nos yeux, plus ou moins émerveillés, des figures qui semblent de flamme, de laser, le tout accompagné dans un une boucle sonore vrombissante qui tantôt illustre ou commente l’image en perpétuel développement. Effet “wouah” garanti, minimalisme chic en plus. Tiens, à propos d’Italie, “ Doit se voir immédiatement après le mariage. — Donne bien des déceptions, n’est pas si belle qu’on dit.” toujours dans le dictionnaire des idées reçues ….

Entre chaque “numéro”, Fred H “enjaille” la petite salle avec l’efficacité qu’on lui connaît ( et le talent) et c’est d’un coeur léger qu’on assiste à la présentation de Earthsatz, une proposition visuelle et sonore de Dylan Cote et Pierre Lafanechère. Imaginez un instant les images de Google earth pas totalement téléchargées, elles restent encore dans cet état de volumes, de petits pixels. On reconnaît bien, ça et là, des lieux réels, des bouts de Rome, des bouts de stades, des villes, de villages mais le travail des deux artistes et la force certaine d’Earthsatz c’est de nous écraser, compiler, transformer, déranger ces espaces encore imaginaires et pourtant si proches. Surgissent alors des images d’un monde, qui, comme dans une éruption primitive (numérique ?), se brise et se casse, formant ainsi des couches sédimentaires d’une civilisation qui se tord dans des soubresauts que l’on ressent comme mortels. C’est d’un beauté glaçante, froide, impitoyable, “comme un rêve de pierre” aurait dit Baudelaire, assurément. Si l’on ajoute à la force des images, la présence percussive et magistrale d’un techno “ambient” des plus soignées, on obtient alors, pour moi, le clou incontestable de la soirée. Ce monde “compressé” au sens  métaphorique et numérique du terme nous impose, sans violence mais avec une fermeté narrative indiscutable un pur moment d’art, de rêverie et de réflexion. Flaubert, toujours, à l’article Penser :  “Pénible ; les choses qui nous y forcent sont généralement délaissées.” :    Earthsatz m’aura fait penser, la douleur en moins, le plaisir en plus, et si c’était ça, au final, la mission ultime de l’art ?

Pour finir la soirée, Macular, une proposition de deux artistes, Daan Johan et Joris Strijbos (dont on peut, par ailleurs voir l’installation église Saint-Nicolas, le temps du festival). Jouant à fond sur la persistance rétinienne, comme Pelusio, la performance nous présente trois barres de leds qui occupent le devant de la scène. À l’horizontale au départ, elles laissent voir des clignotements de couleur. mais c’est quand elles se mettent à devenir des hélices lumineuses, donc à bouger, que le spectacle dévoile toute sa force (et peut-être ses limites). Suivent alors vingt minutes de douces tortures épileptiques durant lesquelles, dans une imperturbable chorégraphie visuelle et mécanique, des figures de lumière vont se faire et se défaire sous nos yeux. C’est magique au début, mathématique et plus ou moins aléatoire, jaune, bleu, vert , rouge, blanc mais la proposition s’épuise assez vite dans la sécheresse de son première évidence et l’enrobage musical aussi lourd, basique que monotone ; un gros son grave et modulé à l’infini dans un spectre qui flatte les infra-basses mais épuisent les tympans. Il faut dire que depuis des années Interstice nous a habitués à des performances si merveilleuses qu’on peut bien pardonner quelques “légèretés” un peu trop lourdes dans le propos artistique. 

Il est presque minuit, et pour finir, je ne peux pas oublier Flaubert qui, à l’article Minuit écrit : “Limite du bonheur et des plaisirs honnêtes ; tout ce qu’on fait au-delà est immoral. “. Il est temps de rentrer donc, des images dans la tête, le plaisir de voir à nouveau la vie reprendre, les gens se sourire, le plaisir de s’enthousiasmer ou de ca(e)ncaner  médiocrement, et le plaisir surtout de savoir qu’Interstice c’est encore toute la semaine prochaine….

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *