A la Saint René (le 19 octobre),  écris ce qu’il te plaît !

On dit que la nuit porte conseil et il me fallait bien cette courte nuit pour digérer le spectacle vu hier soir au Cargö et plus encore pour tenter de trouver les mots justes (prioritairement à mes yeux) qui pourraient rendre compte d’ Exosubstance. 

Pressé (amicalement), dès la sortie de la grande salle du Cargö, à donner mon avis, je savais que mes mots auraient un écho singulier, en premier lieu auprès de Mac Declos, un des signataires de cette création collective, et par ailleurs un “ami” dont je loue et vante les qualités artistiques depuis le début. Les mots ont donc un poids, et il serait déloyal que de penser qu’il n’en va pas de même pour les images, des images dont nous seront saturés (parfois jusqu’à la nausée) durant les 50 minutes d’Exosubstance. Mes hésitations éthiques n’intéressent que moi, et plus fidèle que jamais à l’esprit initial de Cave Caenem, je pense crucial de poser clairement et sérieusement sur le papier les interrogations et les doutes provoqués par ce spectacle d’ouverture commandité par NDK

La “bible” donnée à l’entrée de la salle nous informe du titre, un secret bien gardé jusqu’à la création et nous annonce une performance collective. A l’intérieur de la “bible”, on trouve successivement les mots “création”, “pièce pluridisciplinaire”, plus loin :  “projet d’écriture, de recherches, et de traduction scénique” et enfin “véritable exercice de spontanéité…”. Des termes prometteurs, qui “envoient du lourd “ et qui ne demandent qu’à être vérifiés sur pièce !

Sur le plateau de la grande salle, dans les cintres, une sorte de méduse de tulle occupe le centre tandis qu’à cour, au lointain, un portique donne au plateau une ligne de fuite bienvenue. Sur le devant de la scène, sept écrans tv de taille différente occupent l’espace. De part à d’autre, à jardin pour les deux djs ( Mac Declos et u.r.trax) et à cour pour Mauvais Oeil et sa gestion video, on dévoile et dénonce les artistes et les protagonistes du “show” qui deviennent ainsi des éléments de décor et (parfois) de vie ou d’action. C’est un dispositif efficace en soi et porteur d’une possibilité dramatique pertinente. Pour faire le lien, physiquement et presque conceptuellement entre ces espaces, arrive, dès les premières images et les premières notes, une danseuse-chorégraphe, Flora Théault, court-vêtue mais encore “décente” en début de spectacle. Commence alors une débauche de signes visuels dont je peine encore maintenant à comprendre la cohérence, le sens, la nécessité et donc l’urgence. Tout débute par les  (inévitables ?) images de catastrophe nucléaire qui claquent et surgissent en se calant (parfois) sur les attaques rythmiques d’une musique techno. Les écrans multiplient la même image, vue, revue et convenue tandis que la danseuse, agile certes ( mais peut-on demander moins à une danseuse ?) entame une série de contorsions de plus en plus lascives qui même du temps de Karine Saporta ( clin d’oeil aux anciens) avaient déjà des allures de rhétorique chorégraphique faisandée – mention spéciale pour cette bouche écartée par les mains même de la danseuse… Plus le spectacle avance, et plus on se plaît à croire que nous assistons à des tableaux qui vont finir par délivrer leur énigme et donc leur sens. La musique, elle, imperturbable et efficace, déroule son tapis de kicks, et même si on peine à entendre un fil rouge mélodique ou harmonique qui rendrait l’ensemble cohérent, force est de constater qu’elle remplit son contrat jusqu’à attirer sur les côtes de la salle une foule de danseurs qui n’attendait que cette étincelle pour s’embraser. Les images se poursuivent, et, sans savoir pourquoi, on voit alors arriver des figures totémiques, des diables plus ou moins cornus, entre savane et faune urbaine. Ca flashe, ça clignote, et enfin (hommage inconscient ou emprunt à Bill Viola ?) on assiste au déploiement de la méduse qui devient un vaste écran de toile sur lequel se projette des bribes de corps féminin ( la danseuse?). Entre-temps notre danseuse aura été “emballée” (en partie) sur le portique pour mieux s’en extraire dans une variante approximative de la matrice ou d’Alien. Les images (filmées) ou live du spectacle sont bourrées jusqu’à plus soif de signifiants aussi évidents que faciles et, je ne sais pas pourquoi, c’est le chat de Geluck qui traverse mon esprit, devant cette cascade de modernisme académique… En guise “d’onirisme” annoncé dans la bible j’ai l’impression de me retrouver devant un catalogue des idées-reçues, impression qui va culminer quand je vois surgir, presque devant moi, la danseuse, cheveux mouillées, dans un body qui ne sait même plus ce qu’il doit montrer ou cacher. Pourquoi le taire, à l’heure où l’on nous parle de la représentation de la femme et de “me-too”, ces poses érotiques, à la convulsion calibrée, cette bacchanale qui se veut sensuelle m’auront mis mal à l’aise, et maintenant encore je me demande ce qu’une telle représentation du corps féminin entend dénoncer, glorifier ou dévoiler. Je n’y ai vu qu’une assez plate tentative de relooking d’un  peep-show racoleur qui ferait de l’œil à Trax… 

Ca bastonne “grave” dans l’envoi des images et du son, ça hystérise les yeux, le cerveau, et c’est fait avec  une telle absence de vergogne que je me demande quel sens on cherchait hier soir à captiver ou à anesthésier ?  Pour ma part, je milite plus que jamais pour que le monde de la nuit soit avant tout une féérie des sens et …de l’esprit. Je ne suis pas convaincu qu’une telle artillerie lourde de signes contradictoires, anarchiques et désordonnés  soit la réponse la plus pertinente à  donner aujourd’hui. Ces lignes viendront conforter certains qui, hier soir, étaient encore plus virulents que moi. A d’autres, elles donneront des munitions pour dénoncer ma sénilité ou mon intellectualisme provincial. Peu importe parce qu’il s’agissait avant tout pour moi de tenter de comprendre pourquoi ce spectacle a commencé par me déranger, me contrarier puis finir par me mettre réellement en colère quand, en guise d’image finale, on voit la danseuse, en posture de parturiente, écarter les cuisses devant un “dégueulis “ de rouge qui s’étale triomphalement sur le rideau, comme pour mieux nous signifier un triomphe, reste à savoir de qui ? 

Il a fallu “dix intenses journées” pour produire Exosubstance, sans qu’on comprenne vraiment si cette information est là pour nous impressionner ou attiser notre clémence. Il m’a fallu une nuit d’insomnie et une heure de travail pour écrire ce compte-rendu, mais l’art n’est pas une question de bilan chiffré ! Si j’ai fait de la peine en disant ici ma “vérité”, je persiste à croire que dans la période où nous sommes la pire des lâchetés consisterait à se taire devant la puissance monstrueuse et parfois dévastatrice des images.  

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