La belle audace expérimentale de Glass, en live à L’Esam

Avant les grandes manœuvres du week-end concoctées par NDK, et cette soirée de jeudi riche en invitations musicales dans nos meilleurs bars caennais, il fallait peut-être regarder du côté de L’Esam. C’est en effet à l’occasion du décrochage d’une expo qui présentait les travaux de 37 jeunes artistes nouvellement diplômés que  l’on pouvait entendre une proposition musicale de Glass. Derrière Glass, deux musiciens caennais, Etienne Reimund et Hugo Lamy, aussi discrets qu’inclassables. 

La grande salle d’expo, d’une blancheur immaculée, est investie, en son centre, par les instruments de Glass, juste surplombés par douze néons bleus, comme un cadran d’horloge en trois dimensions. C’est épuré à souhait et c’est un cadre idéal pour que la musique de Glass puisse se répandre sans aucune interférence : un espace, un public (debout) et tout peut arriver.

On ne va pas se le cacher, Glass ne cherche pas à flatter nos oreilles, et le live de près d’une heure ne cessera de tourner autour d’une attente, sans cesse repoussée, décalée, retardée, niée. Une attente de kick, une attente mélodique, et qui sait, une attente de musique. Mais cette frustration  est le nerf même de la construction de Glass. Les deux musiciens, un peu comme ces peintres abstraits qui, parfois, nous montrent qu’ils sont capables de peindre un paysage dans le plus pur style réaliste, nous livrent, ça et là,  de micro-instants lyriques et presque chantants, comme pour mieux nous dire qu’ils savent ce que nous attendons mais qu’ils ne sont pas là pour ça ! Commence alors une étrange partie de ping pong sonore, presque au sens propre, avec ces sonorités de balles qui rebondissent à plus soif mais qui, à force d’être décomposées font de l’écho de leur silence annoncée le rebond d’une nouvelle boucle encore plus abyssale. Toute une première partie du live est construite dans ce “concerto” du rebond, accompagné avec tact et parcimonie par quelques très rares nappes vocales, évidemment à peine compréhensibles. Si le terme d’expérimental est un peu la porte d’entrée facile pour cette immersion sonore, on se surprend vite à essayer d’entrer dans la logique, la grammaire musicale de Glass. Certes, il y a bien, par ci par là, quelques petites “coquetteries” qui pourraient friser la caricature, mais, tout en exigence border-line, les deux musiciens se rattrapent toujours, dans un équilibre de plus en plus périlleux, en injectant quelques séquences rythmiques, de plus en plus austères, comme lors de cette saisissante “battle” durant laquelle il n’y a plus rien à entendre qu’une stricte séquence percussive qui dialogue avec sa soeur jumelle tout en se déconstruisant devant nos oreilles. Glass excelle dans les fausses sorties, les fausses fins qui repartent, comme en rêve dans le tapis lent et apaisé d’une simple note étirée. C’est un travail où l’intelligence de la construction s’efface devant les paysages sonores qui s’éclatent et se reconstruisent en n’étant jamais tout à fait les mêmes tout en gémellité pourtant. La proposition est rude, austère, exigeante aussi, pour les auditeurs, mais c’est certainement parce que les deux artistes nous invitent à un voyage sonore qui échappe à tous les clichés du voyage, toutes les attentes ( forcément décevantes) des vols musicaux-charters. Comme lors de toutes les expériences artistiques sincères et inédites, on ne se soucie pas de l’arrivée, puisque c’est l’expérience de l’écoute elle-même qui devient le Graal pour qui s’adonne et s’offre, sans réserve. La première des qualités de Glass, au-delà même de l’extrême maîtrise du discours musical, c’est de bloquer chez l’auditeur toute volonté critique pour qu’il puisse s’adonner simplement à l’aventure d’un son. On pourrait me rétorquer que cela ressemble assez à une sorte de peep show auditif mais avec Glass ce n’est pas le son  qui s’érotise (bien au contraire tant il est parfois sans concession) mais bel et bien l’air et le silence qui l’enrobe !

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