Argences, samedi 25 janvier 2025… Qui pourrait croire que dans cette paisible petite bourgade, à vingt minutes de Caen, qui pourrait imaginer qu’au sein du Forum de cette ville, une salle des fêtes comme il en existe des milliers en France, allait se tenir un dialogue artistique de très haute tenue entre des collégiens et deux artistes, Dj Bluff et Annabella Hawk ?
À l’heure où d’aucuns, sans honte, n’hésitent plus à remettre en cause la culture comme service public, il y a, modestement mais avec persistance, quelques initiatives qui, comme un uppercut salutaire, viennent nous redire encore et toujours la nécessité de porter haut et fort la paroles des artistes.
Dans le cadre d’un jumelage-résidence avec le collège Jean Castel d’Argences, Dj Bluff et Annabella Hawk ( à l’initiative de l’association Snark) ont dirigé des ateliers de djing et de M.A.O avec des classes de quatrième. Le quotidien pour bien des artistes qui, loin des lumières de la scène, nourrissent leur travail créatif par des telles actions. Là où la soirée de samedi (Castel Musiques) commence à devenir plus originale, c’est quand derrière ce travail de médiation et de pratiques artistiques se dessine un véritable projet de dialogue entre artistes professionnels et un territoire. Samedi soir donc, c’est un peu l’esprit des pionniers de la décentralisation qui flottait sur Argences, cette époque d’immédiate après-guerre où Jean Dasté ( à Saint Étienne), Hubert Gignoux ( Strasbourg) et d’autres encore allaient apporter le Théâtre ( avec un grand T, porteur de la garantie d’un discours artistique sans failles) dans …. des salles des fêtes !
Rien de neuf mais comme cela semble nécessaire de redire aujourd’hui la nécessité d’un tel travail de fourmis, de soutiers de la culture, et cela sans jamais entamer l’urgence d’une véritable parole artistique.
La belle prise de risque d’Annabella Hawk
Depuis quelques années la belle voix soul et sensuelle d’Annabella Hawk se démarque dans le paysage musical. Dans la salle pleine de Forum, et surtout devant « ses » élèves du collège Castel, elle livre, en avant-première les notes des pistes de son prochain EP ( sortie printemps 2025). La prise de risque est énorme, tant le dispositif scénique est minimal : quelques lumières, une boule à facettes… On est loin des standards des grandes salles. Alternant ballades mélancoliques et « tubes » à danser, Annabella confirme l’efficacité de son virage esthétique et montre qu’en quelques années elle est devenue une bête de scène à même d’enflammer toutes les salles. Si le public est en partie conquis ( les parents des élèves qui venaient faire l’ouverture de la soirée), le défi résidait justement dans le fait de les convaincre de ne pas quitter la salle après la séquence « je filme mon enfant ». Dès les premières notes, on sent bien que c’est gagné et c’est une pure merveille que de voir la salle lentement s’électriser en direct. C’est bien de cette flamme qu’il convient de parler, cette énergie vitale d’un artiste qui, de l’expert « technique » redevient sous les yeux de tous ( et surtout des élèves) l’indiscutable artiste qui donne une autorité nouvelle et magique à sa parole didactique.
Le début de la soirée donnait immédiatement la tonalité poétique avec la présentation de Castellation. Derrière ce nom, une petite demi-heure de performance offerte par les élèves. Comme pour se défendre de quelques paroles osées, le professeur de musique se sent obligé d’excuser quelques licences verbales contenues dans les paroles. En groupe ou en duo, on découvre alors le résultat des ateliers et plus encore l’apport respectueux mais professionnel des deux intervenants, Dj Bluff pour l’habillage sonore et Annabella pour la construction mélodique et lyrique. Très vite, on sort de la besogneuse restitution et on entend alors, derrière quelques hésitations compréhensibles, le refrain intime d’une nouvelle génération qui aura profité de ces ateliers pour dresser un état des lieux. C’est tendre, sincère, osé ou généreusement maladroit mais c’est un portrait musical de la jeunesse, de la jeunesse d’Argences ou de ces petites villes de France, si proches et pourtant de plus en plus éloignées de la culture officielle des grandes villes.
Dj Bluff, de son côté, ouvre et clôt le « bal » avec son sens du scratch qu’on lui connaît. Il commente, galvanise et dynamise les élèves par ses interventions et plus encore par ses pistes qui, en fin de soirée transformeront le forum en un séduisant dancefloor intergénérationnel.
Mine de rien, en toute simplicité mais non sans efficacité, Dj Bluff et Annabella Hawk, en pionniers 2.0 de la décentralisation…s’inscrivaient samedi soir dans les pas des pères fondateurs et le coup de fraîcheur tonique qu’ils apportent à ce combat plus fragile que jamais méritait bien ces quelques lignes, sans oublier l’indéfectible ardeur de l’initiatrice de la soirée, Françoise Grieu, la responsable de Snark !